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Le djihad en famille

Dans l’appartement de Garges-lès-Gonesse, des insultes et des provocations signées de plusieurs mains.
Dans l’appartement de Garges-lès-Gonesse, des insultes et des provocations signées de plusieurs mains. © Eric Hadj / Paris Match
La Rédaction , Mis à jour le

Le djihad en famille, on en connaît des exemples parmi les Français partis pour la Syrie, mais un départ sous la conduite d’une femme est rarissime. Khaled, son ex-mari, se bat pour faire « libérer » ses enfants qui sont selon lui des otages. Il peut compter sur l’association Brigade des mères, qui lutte contre la radicalisation islamique et qui, cette fois, doit soutenir... un père.

C'est une montagne qui, soudain, s’affaisse. Sur le canapé, Khaled*, 1,85 mètre, agent de sécurité, semble à présent tout petit. Il est né au Sénégal, habite la France depuis plus de vingt ans. Naturalisé, il a continué de pratiquer l’islam paisible que lui avaient enseigné ses parents. Ce n’est pas celui qui a séduit son ex-épouse, Violaine, née chrétienne en Martinique. Khaled l’a rencontrée dans la rue, l’a abordée pour lui donner son numéro de téléphone… Violaine vient de disparaître avec cinq de leurs six enfants, sans -laisser d’autres explications que celles, éloquentes, taguées sur les murs. 

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Une date, le 18 mars 2015, reste gravée dans la mémoire de Khaled. Il était venu déposer chez Violaine leur fils Halim, alors âgé de 12 ans, dont il a la garde. L’enfant, malade, ne voulait pas aller à l’école, et Khaled devait partir travailler. Violaine, habite à 2 kilomètres et reste chez elle, soi-disant à faire la classe aux enfants dont elle a la garde car, depuis 2012, elle les a retirés de l’école : « Cela m’a inquiété, mais l’assistante sociale m’a dit qu’elle avait le droit et que je ne pouvais rien faire. » Khaled sait que, chez leur mère, il est interdit à ses enfants d’écouter- de la musique, de boire du Coca-Cola – « qui finance la guerre des sionistes contre le peuple palestinien » –, ou de se rendre au McDo. « Pour moi, c’était n’importe quoi. Alors ils venaient écouter de la musique à la maison. » A 4 ans, le petit Mohammed a même fait 2 kilomètres à pied, tout seul, pour le rejoindre. Mais seul Halim a obtenu du juge le droit d’aller vivre chez son père. Le deuxième garçon, Zinedine, aurait bien voulu lui aussi : « Il a fait la lettre au juge, mais je n’ai pas pu le prendre car je n’ai qu’un deux-pièces », regrette Khaled. C’est ainsi qu’il passe en revue les visages des enfants qu’il aurait pu sauver, ceux qui voulaient rester avec lui plutôt qu’avec leur mère. Mais comment aurait-il pu deviner ce qui se préparait ? Il y avait déjà longtemps qu’il ne comprenait plus rien à Violaine.

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Halim, 13 ans, dit qu’il veut revoir ses frères. Il se réveille parfois la nuit, en pleurs

Quand leur histoire commence, en 1996, Violaine a 21 ans. Elle intègre l’école des gardiens de la paix de Draveil, dans l’Essonne. Son rêve d’uniforme va faire long feu. « J’ai voulu la dissuader de démissionner, mais elle m’a dit que la police en voulait aux Arabes. » Elle ne s’est pas encore -convertie. Elle ne le fera qu’en 2000, l’année suivant la naissance de leur première fille, qui a reçu le seul prénom chrétien de la fratrie. Cette conversion, Khaled jure qu’il ne l’a pas demandée. « Elle m’en parlait depuis un moment. Je lui disais : “Etudie, et ensuite tu choisiras.” Je voulais qu’elle soit libre. » C’est alors qu’elle commence à prendre des cours d’arabe et à fréquenter la mosquée. « Des femmes arabes lui ont mis des choses bizarres dans la tête, je voyais que ses livres vantaient un islam extrémiste. J’en parlais avec elle, mais ce n’était pas facile de la raisonner. Un neveu qui a fait des études en Arabie saoudite téléphonait parfois pour discuter et tenter de rectifier ses idées. » Mais Violaine n’est pas dans la demi-mesure. Un temps, elle veut devenir aide-soignante ; elle recule quand elle découvre que, à l’hôpital, il lui faudra enlever son voile. « J’ai insisté. Le Coran dit de s’adapter au pays dans lequel on est installé, il lui donnait le droit d’enlever son voile ! Je n’ai pas réussi à la convaincre. » Quatre naissances se succèdent, espacées de deux ou trois ans. Entre ses congés maternité, Violaine travaille dans la restauration, chez Servair. Mais, bientôt, elle annonce qu’elle souhaite porter le voile intégral. « Là, j’ai opposé un non catégorique. Ça me gênait ! Moi, je m’habille normalement. Et puis ce n’est pas l’islam. Je ne sais pas comment elle prenait ces décisions ni qui lui mettait ça dans la tête. Mais, du coup, elle a renoncé. » Il se souvient que, à cette époque, elle lui a aussi signifié qu’il ne fallait pas que les enfants partent en classe de découverte, de crainte qu’ils mangent du porc. « Là encore, j’ai dit non, se souvient Khaled. Les enfants doivent suivre toutes les activités de l’école. Et si, une fois, par hasard, ils mangent du porc, ce n’est pas grave. Dieu ne leur en voudra pas. Je lui répétais, comme pour le voile : “On doit s’adapter au pays.” Et, cette fois encore, j’ai obtenu gain de cause. » 

Mais en 2012, ils se séparent. Dès lors, c’est l’escalade. Violaine semble vouloir refaire sa vie, elle épouse religieusement un Algérien. L’union dure quinze jours, puis elle fait la même chose avec un Malien. Ils divorcent au bout de deux mois, affirme Khaled. Il ne prendra conscience du problème que lorsque sa fille de 15 ans est demandée en mariage par un converti, français d’origine portugaise. « C’était le mari d’une copine de Violaine. Il voulait en faire sa seconde épouse ! J’ai refusé, évidemment. Et c’est ma fille elle-même qui s’est mise en colère, prétendant que je n’étais plus dans la religion. Abasourdi, je ne savais pas quoi faire. » Dans les pays musulmans les plus « libéraux », les filles peuvent difficilement se passer du consentement de leur père. Ce que Khaled ignore, c’est que, maintenant qu’il est jugé mauvais musulman, c’est-à-dire pire qu’un mécréant, sa fille mineure a trouvé le moyen de se marier devant un imam salafiste. 

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La charia selon Internet rend possibles toutes les justifications

Ce jour d’hiver, quelques mois plus tard, Khaled se présente dans la petite cité HLM, principalement occupée par des immigrés, personne ne répond à son coup de sonnette. Qu’importe. Puisqu’une voisine garde un trousseau de clés, il entre dans l’appartement. Il n’a pas besoin d’explications : le désordre est indescriptible, une tempête semble avoir tout vidé pour ne laisser que des objets épars et, surtout, sur les murs, ces inscriptions appelant au djihad et à la révolte. 

Violaine est partie rejoindre l’Etat islamique avec cinq de ses enfants. La plus jeune a 4 ans ; l’aînée, 16. Parmi eux, une petite fille de 9 ans, handicapée mentale et moteur. Khaled se précipite au commissariat, où personne ne le prend au sérieux. « Attendez le week-end, vous reviendrez déposer une main courante pour non--présentation d’enfant », lui dit un policier. Il lui faudra, pour le convaincre, montrer les photos des tags sur les murs. Alors la police judiciaire puis l’antiterrorisme sont alertés. « Mais on a perdu des heures. L’ambassade de France à Istanbul a été prévenue, la police locale alertée. C’était trop tard, ils étaient passés clandestinement en Syrie. »

Depuis, Khaled a appris que, là-bas, sa fille aînée s’était remariée avec un djihadiste français. Celui qu’elle avait épousé en France n’avait pu la rejoindre. Il a été arrêté. Jusqu’à présent, il n’y avait guère que les Scythes et les mésanges bleues pour autoriser la polyandrie… Mais la charia selon Internet rend possibles toutes les justifications. 

Khaled et le seul fils qui lui reste. A leur côté, des bénévoles de la Brigade des mères, dont Aziza Saya (au centre). Leur objectif : venir en aide au père et à l’adolescent.
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« Quand je pense que Violaine s’est convertie à l’islam grâce à moi ou à cause de mo… Si j’avais pu imaginer la suite ! » Khaled parle d’une voix posée, sans colère. En père meurtri qui veut tenir coûte que coûte pour le seul fils qui lui reste, Halim, 13 ans. Halim ne le quitte pas, comme il ne se sépare pas non plus de sa tablette numérique. Muré dans le silence d’un adolescent « en souffrance », comme disent les spécialistes. « Halim va très mal et ça se dégrade de jour en jour. Il a des copains en classe mais ne fréquente personne en dehors du collège. Il passe son temps devant la télé ou l’ordinateur, il ne fait plus de sport. Il regarde toutes les infos sur la Syrie, dit qu’il veut revoir ses frères… Il se réveille parfois la nuit, en pleurs. » L’insomnie fait des ravages. « Moi, il m’arrive de ne pas dormir des nuits entières. Je pense à mes enfants sous les bombardements. » 

Les pouvoirs publics semblent dépassés. « J’ai rencontré une conseillère du ministère des Familles, il y a plusieurs mois. Elle m’a écouté, mais m’a juste communiqué les coordonnées de l’association Syrie prévention familles. Depuis, plus de nouvelles. » Le juge d’instruction n’a pas fait mieux. Reste la Brigade des mères, l’association fondée par Nadia Remadna. Le fils d’une des bénévoles, Aziza Saya, est mort en Syrie. 

Avec la Brigade des mères, Khaled demande que la France fasse pour ses enfants ce qu’elle ferait pour des otages. Qu’elle négocie. 

* Les prénoms ont été changés.

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