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Après le logiciel libre, voici le matériel libre

L'« open source » arrive dans l'univers des objets : de plus en plus de designers et d'industriels renoncent à une partie de leurs droits sur leurs créations. Un mouvement pas toujours désintéressé...

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Par Jacques Henno

Publié le 14 avr. 2015 à 01:01

Opendesk.cc est un site Web original à double titre. D'abord, son nom de domaine en.cc est celui des îles Coco, mais il signifie ici Creative Commons, un système de licences utilisé, entre autres, par les adeptes de l'« open source » hardware. Ce concept de « matériel libre » constitue la seconde particularité d'Opendesk : sur ce site de mobilier, on peut télécharger gratuitement les plans numériques de bureaux, chaises et autres rangements conçus par des designers. Une fois le fichier PDF en main, vous pouvez librement modifier le meuble. Puis, si vous en avez le courage, le fabriquer vous-même. Hormis le bois, la visserie et le temps passé, cet objet ne vous aura rien coûté. Ni le concepteur ni le site n'auront gagné d'argent. « Laisser mes utilisateurs modifier mes créations et en profiter comme ils veulent est une idée intéressante », explique Pierrick Faure, un jeune designer français basé à Saint-Etienne, qui propose sa chaise Roxanne sur Opendesk. « De plus, je n'ai plus besoin de trouver un industriel pour fabriquer et livrer mes créations : je livre instantanément un fichier à mes clients qui vont ensuite gérer la fabrication et la livraison. »

Anecdotique il y a quelques années, le mouvement de l'« open hardware » prend de l'ampleur aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon... et en France. On peut désormais télécharger sur Internet des plans gratuits de voitures, d' éoliennes, de ruches, de compteurs électriques intelligents, de drones sous-marins, de mains artificielles, de trains miniatures (1)... Aux origines de cette révolution, on trouve, bien sûr, l'informatique. Les logiciels de conception assistée par ordinateur ont bouleversé le travail des ingénieurs et des artistes. De papiers, leurs plans sont devenus des fichiers électroniques facilement échangeables, mais aussi interprétables par les machines-outils à commande numérique, qui fabriquent automatiquement des pièces complexes.

« C'est la récente démocratisation des outils de prototypage qui a permis le développement de l'"open hardware" : on trouve désormais des imprimantes 3D à moins de 500 euros et l'on peut assembler une machine de découpe laser en "open source" pour 2.000 euros », explique Bertier Luyt, fondateur de la start-up Le FabShop, spécialiste de la fabrication numérique basé à Paris et Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), et animateur du « maker mouvement » en France (« Les Echos » du 17 juin 2014). Ce mouvement parti de Californie, qui remet à la mode le « do it yourself » (« faites-le vous-même ») en tirant parti d'Internet et des imprimante 3D, doit en partie son expansion à l'« open hardware ». Les « makers » téléchargent des plans « open source », les modifient et vont tester leurs inventions sur les outils de prototypage mis à leur disposition dans des Fab Labs (ateliers de fabrication ouverts au public), des « makerspaces » (ateliers généralistes) ou des « hackerspaces » (espaces plutôt dédiés à l'électronique).

Inspiré du logiciel libre, l'« open hardware » est guidé par les mêmes principes. « Le système des brevets, qui remonte à la fin du XVIIIe siècle en France, avait été créé pour protéger les inventeurs et ainsi encourager l'innovation, rappelle Léo Benichou, ingénieur le jour chez un grand industriel de l'énergie et « maker » la nuit à l'Electrolab, un « hackerspace » de la zone industrielle de Nanterre. Ce modèle-là a atteint ses limites avec les "patent trolls", ces entreprises qui achètent des brevets pour les faire fructifier lors de procès, et non pas dans la production industrielle, ce qui freine l'innovation. » L'« open hardware » permet précisément de faire sauter le verrouillage de la propriété intellectuelle par les brevets. « Avec l'"open hardware", tous les fichiers numériques qui permettent de fabriquer un produit, de l'améliorer, ou de l'adapter à un besoin spécifique, sont partagés et la R&D est mutualisée, ce qui permet d'accélérer l'innovation en évitant de réinventer la roue », détaille Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare, un collectif spécialisé sur l'étude de l'économie collaborative et fondateur de poc21.cc, un « summer camp » qui va réunir cet été 100 « makers » afin de développer des solutions « open source » pour la transition énergétique.

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Accélérer le développement

« Le but de l'"open hardware" est d'accélérer le rythme de l'innovation en faisant appel à la communauté », résume Damien Declercq, vice-président exécutif Europe, Moyen-Orient et Afrique de Local Motors. Originaire de l'Arizona, Local Motors développe des véhicules en « open hardware » et les assemble dans des micro-usines. « Nous sommes 120 salariés, plus les 48.000 volontaires qui animent notre communauté dans 130 pays, énumère Damien Declercq. Cela nous permet d'aller cinq fois plus vite qu'un constructeur automobile classique et pour un coût cent fois inférieur. »

Voilà pour la théorie. « Au départ, l'"open source" était une utopie, entre communisme et capitalisme, mais il faut également que cela permette d'en vivre, notamment dans l'"open hardware", estime pour sa part Jean-Louis Frechin, fondateur de l'agence d'innovation et de design NoDesign.net, qui a mis au point Weio, une carte électronique « open hardware » (lire ci-dessous).

Heureusement, il existe plusieurs façons de gagner de l'argent avec l'« open hardware ». Mais ce qui fait le plus peur aux puristes, c'est l'attitude de certains grands groupes qui tentent d'utiliser l'« open source » pour imposer leurs propres technologies. En juin dernier, l'entreprise californienne Tesla, spécialisée dans les voitures électriques, a promis qu'elle ne porterait plus plainte si quelqu'un utilisait ses technologies « en toute bonne foi ». Une façon d'accélérer le développement du marché de la voiture électrique, et donc à terme de rentabiliser la gigantesque usine de batteries que Tesla construit dans le Nevada ? Quant à Google, avec son projet Ara de smartphone low cost et « open hardware », ne cherche-t-il pas à imposer son système d'exploitation Android, qui lui permet de contrôler une partie de la publicité sur mobile ? Heureusement que personne n'a déposé de brevet sur le bon vieux coup du cheval de Troie...


Cinq façons de gagner de l'argent avec l'« open hardware »

Commercialiser les produits finis : beaucoup d'utilisateurs n'ont pas le temps d'assembler eux-mêmes les objets et préfèrent les acheter tout fait auprès du concepteur.Vendre du conseil et de la formation : les plans sont gratuits, mais les utilisateurs peuvent acheter des livres décrivant en détail le processus de fabrication d'assemblage et de maintenance. Ou participer à des ateliers de formation dans un Fab Lab.Animer une plate-forme : elle servira à mettre en contact designers, clients et Fab Labs, comme OSVehicle pour l'automobile.Toucher des royalties : les designers perçoivent un pourcentage lorsqu'un Fab Lab réalise un de leurs meubles présentés sur Opendesk.Se faire connaître : la diffusion gratuite des plans de leurs produits permet à des designers ou à des agences de conseil en innovation d'accroître leur notoriété.

Jacques Henno

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