Avec ses lunettes de hipster, Cyrill Gutsch n'a pas vraiment le profil de l'écologiste engagé. Fondateur de la société Parley For The Oceans, le designer berlinois a pourtant d'autres sujets d'inquiétude que son look. « Les prévisions les plus optimistes signent la fin de la pêche pour 2048 et la disparition des coraux pour 2025, dit-il. Je n'invente rien, ces informations sont à la disposition de chacun. Il n'y a plus une minute à perdre : si on veut sauver les océans, il faut agir maintenant. »
En 2012, il rencontre Paul Watson, cofondateur de Greenpeace, et prend brusquement conscience des dommages causés par les déchets en plastique, la pêche en eau profonde et la pollution. « J'ai créé Parley For The Oceans pour trouver des solutions et permettre aux gens d'être actifs sans les culpabiliser », explique-t-il. Pour y parvenir, il aimante son réseau autour d'une idée : collecter le plastique échoué sur les rivages et le transformer en fibre textile. Ainsi, en 2014, il réunit le chanteur Pharrell Williams et la marque G-Star afin d'élaborer une ligne de jeans tissés avec du plastique recyclé. La marque Adidas a signé un programme sur plusieurs années avec Parley For The Oceans et sortira bientôt la première basket en fibre de plastique recyclé.
Ils ne sont pas les seuls à investir ce territoire écologique à l'approche de la COP21, la conférence des Nations unies sur le réchauffement climatique qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre à Paris. En se promenant sur une plage de Bali polluée par les déchets en plastique, les deux surfeurs hollandais à l'origine de la ligne de lunettes Dick Moby, distribuée chez Colette, ont aussi développé leurs montures en plastique recyclé. « Aujourd'hui, les marques ont beaucoup plus d'impact sur la société que les hommes politiques qui n'arrivent pas à imposer les mesures nécessaires », juge Cyrill Gutsch.
D'où l'explosion des messages écologiques émanant des maisons de luxe, à l'instar de Kenzo, qui s'est fait remarquer lors du défilé été 2014 avec ses tee-shirts « No fish, No nothing » et son partenariat avec la Blue Marine Foundation. A Marseille, on s'affaire aussi en faveur de la mer. Le designer Ora-Ïto compte bien métamorphoser les trois hectares qu'il a rachetés sur l'île de Ratonneau, au Frioul, en plate-forme écologique. Soutenu par les élus locaux et Parley For The Oceans, son projet (encore à l'état embryonnaire) suscite déjà la curiosité des Nations unies devant lesquelles il s'est exprimé en juin : « L'idée est d'installer un éco-hôtel et un musée sous-marin. Chaque détail doit être respectueux de la mer. Il faut que ce lieu devienne un laboratoire de réflexion collective. »
A l'autre bout du monde, en Chine, le géant suédois H & M n'est pas en reste. En collaboration avec WWF, ils ont mis en place il y a deux ans un programme de réduction de leur consommation en eau pour la fabrication de leurs vêtements. « On s'assure un approvisionnement durable tout en diminuant nos besoins », confie Henrik Lampa, directeur du développement durable chez H & M. Car il en faut, de l'eau, pour délaver un jean ou même produire du coton. Sans compter la pollution des eaux usées par les colorants pour textile. « On investit dans la recherche pour remplacer l'eau par de nouveaux procédés sans impact sur l'environnement », poursuit-il. H & M souhaite éduquer sa clientèle avec des sigles sur les étiquettes des vêtements et des messages diffusés en magasin. L'objectif : apprendre à chacun à ne plus « sur-laver » sa garde-robe.
Du côté de la cosmétique aussi, l'eau est au centre de toutes les attentions. Mécénat en faveur d'un meilleur approvisionnement dans des régions privées d'eau avec le programme Acqua For Life d'Armani. Limitation de l'eau dans la fabrication des produits Clarins. Chez L'Oréal, on a développé des méthodes pour calculer « l'empreinte eau » de chaque produit. « En 2020, 100 % de nos produits auront un impact inférieur sur l'environnement », affirme Laurent Gilbert, directeur de la recherche et de l'innovation durable.
Chez Biotherm (qui appartient à L'Oréal), on a remplacé les billes non dégradables des gommages par des fragments de pierre ponce. « Nos produits qui se rincent ont une meilleure biodégradabilité, et nous planchons sur des formules qui se nettoient plus vite afin d'inciter le consommateur à passer moins de temps sous l'eau », explique Elisa Simonpietri, directrice scientifique de Biotherm.
« L'eau est devenue un objet emblématique à fort pouvoir évocateur, analyse Graciela Schneier-Madanes, directrice de recherche au CNRS. Soigner l'eau, c'est une approche en communication favorable à la marque. » D'autant que cet élément est inconsciemment associé à la transparence et à la régénération. Seul danger : à trop vouloir mettre en avant leurs efforts récents, les marques pourraient être interrogées par les consommateurs sur les raisons qui les ont empêchées d'agir plus tôt.