Annoncé par le ministère de la Culture en plein Séries Mania, ce “Cannes des séries” prévu pour 2017 fait grincer des dents les professionnels, élus et autres organisateurs de festivals qui craignent de disparaître.
Publié le 29 avril 2016 à 13h30
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h39
Au pays de Plus belle la vie et des Revenants, une multitude d’événements fêtent la fiction télé – Séries Mania à Paris, Série Series à Fontainebleau, le FIPA à Biarritz, le Festival de la fiction TV à La Rochelle, le Festival de Luchon... Mais aucun n'a pour l'instant l'envergure d'un événement international incontournable. C’est ce que pense le ministère de la Culture, qui a demandé fin 2015 à Laurence Herszberg, directrice du Forum des images et présidente de Séries Mania de réfléchir à la question. Dans un rapport rendu en ouverture de la septième édition de Séries Mania le 15 avril dernier, elle est sans surprise allée dans le sens du ministère en préconisant la création, pour 2017, d’un festival à dimension internationale.
Le projet veut voir grand et fort : « Le rayonnement international en sera la spécificité » et souhaite « défendre l’exception culturelle » française à travers le soutien à la production de séries.
« Il y a un engouement populaire et professionnel autour de ce domaine, explique Laurence Herszberg. Derrière cela, il y a donc une opportunité économique et industrielle pour la filière française. » Les noms sont lâchés : ce festival pourrait être « emblématique pour la série comme l’est Avignon pour le théâtre ou Angoulême pour la bande-dessinée. » Et Cannes pour le cinéma ? « Ce festival est tellement icônique qu’il est hors-compétition », s’amuse la directrice du Forum des images.
Concurrencer Berlin, Venise ou Londres
La comparaison ne fait pourtant pas peur au ministère de la Culture. Lancé par Fleur Pellerin et récupéré par l’équipe d’Audrey Azoulay, le projet a pour ambition de prendre de vitesse une concurrence internationale grandissante. Depuis plusieurs années, la production française obtient de vrais succès d’exportation. Le moment est bien choisi pour se positionner en se confortant sur un grand événement » centré exclusivement sur les séries. Et de damer le pion par la même occasion aux festivals étrangers, comme Berlin, Venise ou Londres.
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Si ambitieux soit-il, ce projet de festival international fait toutefois grincer des dents dans le microcosme de la série française. Voir débarquer un projet du ministère porté par la directrice d’un festival parisien, c'est s'exposer aux accusations de jacobinisme, de copinage et de volonté d’hégémonie alors même que l'idée du festival n'en est qu'à ses prémices.
Du côté des colléctivités locales, la région Ile-de-France dit avoir été bousculée par le ministère : « Confier la rédaction du projet à l’organisatrice de Séries Mania, qui se déroule au Forum des images à Paris, c’est surprenant d’entre-soi parisianiste, regrette sa vice présidente, Agnès Evren. Ça pourrait s’appeler être juge et partie. »
« Il n’y a pas 36 référents sur le sujet, se justifie le ministère sur le choix de Laurence Herszberg pour rédiger le rapport préliminaire. Nous nous sommes tournés vers la personne qui anime le festival avec la plus grande envergure. »
Série Series ne veut pas se laisser phagocyter
Ce début de polémique aurait rapidement pu se tarir si l'annonce du projet ne s'était accompagnée d'une certaine maladresse à l'endroit de l'autre festival francilien Série Series. Le festival de Fontainebleau (Seine-et-Marne) dont la cinquième édition se tiendra fin juin, est annoncé comme partenaire de ce « festival de Cannes des séries ». Sauf que le ministère s’est peut-être avancé un peu vite. Marie Barraco, l'organisatrice de Série Series, assure ne pas avoir participé à la réflexion collective autour du projet et n'entend pas se laisser phagocyter. « Nous travaillons sur Série Séries depuis cinq ans. Il fonctionne très bien et nous n’avons aucune envie d’être absorbé si c’est l’idée. » Loin de vouloir pourtant « créer une polémique », l'organisatrice de Séries Series assure avoir « une vision des choses à partager ». « Si nous avons les mêmes envies, pourquoi pas. Si c’est pour être englobé dans un projet plus ambitieux tout en étant écouté, nous ne sommes ni pour, ni contre. Nous sommes ouverts à la discussion et au travail s'il est collectif. »
Fort de plus de cinq années d'existence et de liens avec l'ensemble de la profession en France et en Europe, le festival de Fontainebleau peut compter sur une armée de professionnels remontés et prêts à en découdre. « Les réactions multiples face au projet ont permis de rééquilibrer les choses pour qu’elles aillent dans le bon sens, se félicite Marie Barraco. Notre réseau tissé au fil des années est prêt à tout pour nous soutenir. »
« Série Series est un festival à échelle humaine, explique-t-elle. Le cadre est propice à l’atmosphère que l’on a voulu installer dans cet événement, qui ne pourrait pas exister ailleurs – au Forum des images, par exemple. Notre ADN est différent. Nous accueillons environ 700 festivaliers. Nous ne voulons pas 2000 professionnels. »
Si Série Series se veut intimiste, le festival international, lui, est voulu plus gros que le bœuf. « C’est en faisant les choses de manière empirique qu’Avignon ou Cannes sont devenus des champions. Séries Serie se veut humble », temporise Marie Baracco.
Laurence Herszberg se défend pourtant de vouloir absorber les deux festivals au sein d’une super-entité. « Séries Mania et Série Series sont deux événements populaires et reconnus par la profession. C’est une nécessité, pour le rayonnement international voulu par le ministère, de travailler ensemble car aucun des deux festivals n’a atteint sa taille critique. Si nous continuons à nous regarder sans rien faire, nous allons être dépassés. » « Nous avons deux bases de qualité, renchérit le ministère. Ce festival ambitieux ne sera possible que si on arrive à fédérer tout le monde. »
Agnès Evren, vice-présidente de la région Ile-de-France, semble d’accord sur le fond, mais reste gênée par la forme. « Nous n’avons été que partiellement consultés », assure-t-elle, elle aussi, en précisant qu’elle ne veut, elle aussi, « pas créer de polémique ».
Un événement “populaire”
L’Ile-de-France finance à la fois le parisien Séries Mania et le bellifontain Série Series. Selon elle, le grand projet du ministère irait à l’encontre des engagements de la région : « Notre projet est le développement de la culture dans toute la région, spécialement pour les jeunes. Après le 13-Novembre, où l’on s’en est pris à la jeunesse et à la culture, l’enjeu est trop important, argue même l’élue. Le festival de Fontainebleau réunit toutes ces qualités : c’est un événement populaire, ancré dans sa ville et qui brasse à la fois tous les publics et tous les âges. »
Aussi, la Région, qui se défend d’en faire une affaire politique, veut marquer le coup : « Nous allons amplifier notre soutien à Série Series en proposant une hausse des subventions afin de l’accompagner de manière symbolique. Ce n'est pas se placer contre Séries Mania, dont nous soutenons l’organisation, ni contre le projet du ministère. Nous le faisons pour ne pas voir Série Series disparaître ou se faire avaler. »
“Notre approche n’est pas de diviser mais de fédérer tout le monde” Ministère de la Culture
Est-ce Paris ou la volonté de mettre le paquet sur un seul événement central qui gêne le plus ? Visiblement les deux si l'on constate ce qu'en disent les professionnels ou même les élus (ici le maire de Fontainebleau, ou celui de Cannes) sur les réseaux sociaux.
Au ministère de la Culture, on préfère maintenant temporiser « Nous comprenons que tout le monde veuille défendre ses politiques locales. Notre approche n’est pas de diviser mais de fédérer tout le monde. » De son côté, Laurence Herszberg, semble également soucieuse de calmer le jeu : « Dès le départ, ce festival se pose comme francilien. Paris sera l’épicentre, car c’est là que se trouvent les grandes salles, mais on peut imaginer des ramifications en région. Il faut associer tous les publics au projet culturel, surtout ceux qui en ont moins l’habitude. »
Mais surtout le projet est encore loin d’être réellement défini. Il le sera lors d’une mission de préfiguration qui réunira autour de la table tous les acteurs du dossier (Séries Mania, Série Series, la Région et la Ville de Paris), sous l'égide de Marc Tessier. L'ancien président du CNC aura sans doute besoin de toute son autorité et de son sens légendaire de la diplomatie pour mettre tout le monde d'accord.
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