Laos : éloge de la lenteur

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, Luang Prabang, la ville la plus fascinante du Laos, reste le refuge parfait pour une pause nonchalante et spirituelle entre découverte des monastères, balade à dos d’éléphants et croisière au fil du Mékong...
Le Kamu Lodge, entre forêts et rizières.

Luang Prabang… Le nom fleure bon l’exotisme, le titre d’un vieux OSS 117. A son évocation, on imagine Hubert Bonisseur de la Bath avoir maille à partir avec des narcotrafiquants mal embouchés dans cette région proche du Triangle d’or… Mais que nenni ! À 210 km au nord de la capitale du Laos Vientiane, cette cité classée au patrimoine mondial de l’Unesco n’est pas un nid d’espions ; juste la première destination touristique du pays. On y vient pour savourer sa douceur de vivre à l’ombre des palmiers, des bananiers et des banians, pour s’immerger dans un héritage architectural et culturel remarquable et côtoyer son intense activité religieuse. La vieille ville concentre en effet 34 monastères bouddhistes et des nuées de moines la parcourent, invitant au recueillement et à la spiritualité… Autant dire une autre planète.

Le “royaume du million d’éléphants” : le premier état unifié du Laos, au XIVe siècle, s’est trouvé un surnom poétique. Aujourd’hui, les pachydermes font partie des attractions touristiques du pays, en particulier à l’Elephant Village.

Expérience exceptionnelle

La cité commence à séduire certains groupes en quête d’une parenthèse hors du temps. “Il s’agit principalement de comités de direction, indique John Dopéré, directeur de La résidence Phou Vao (du groupe Belmond, ex-Orient-Express), l’un des quelques établissements haut de gamme de la ville. Ils connaissent déjà l’Asie et ont envie d’une expérience un peu exceptionnelle, car il ne s’agit pas d’une destination bon marché, notamment en raison de l’absence de vols directs.” De fait, vols intérieurs exceptés, la ville n’est desservie que depuis le Vietnam, le Cambodge, et la Thaïlande. La création de nouvelles lignes est d’ailleurs attendue impatiemment par les acteurs du tourisme.

Luang Prabang a été sauvée de la décrépitude par son classement à l’Unesco en 1995. La cité paisible est encore relativement préservée des affres du tourisme de masse.

Pour l’instant, Luang Prabang coule donc des jours paisibles avec moins de 300 000 visiteurs par an. Protégée par sa labellisation Unesco qui réglemente la circulation automobile (les autobus y sont exclus), interdit la prolifération des panneaux publicitaires et proscrit toute construction intempestive, elle conserve une unité dont peu de villes peuvent se prévaloir dans le Sud-Est asiatique. Le site, qui forme une péninsule entourée de montagnes au confluent de la rivière Nam Khan et du Mékong, est habité depuis la nuit des temps. 8 000 ans avant J.-C. selon les archéologues. Du XIVe au XVIe siècle, Luang Prabang se hisse au rang de capitale royale du Lang Xang – le “royaume du million d’éléphants” –, le premier état Lao. La période marque une parenthèse d’union et de prospérité dans un pays qui n’a cessé d’être convoité par ses voisins. Les bâtiments phares de son architecture religieuse datent de cette époque. “On les rejoint à pied ou à vélo, ce qui participe évidemment au charme de la découverte du coeur historique”, indique Rodolphe Gay, directeur de l’hôtel The Luangsay Residence, établissement qui met des bicyclettes à la disposition de ses clients.

Construit en 1559 à l’extrémité de la péninsule, le vénérable Vat Xieng Thong, le “monastère de la cité d’or”, l’un des plus anciens temples et certainement l’un des mieux conservés, illustre la qualité architecturale des édifices religieux. L’élégance de sa toiture constituée de trois séquences de pans superposés, la délicatesse des ornementations, la richesse de l’iconographie peinte et sculptée témoignent de l’excellence des artisans. Avec la grâce que confère la patine du temps, il en ressort une magie singulière, sans clinquant.

Étonnant, non ? C’est ici, entre les murs de l’Institut Français, que Pierre Desproges passa son enfance, à l’époque où son père était directeur de l’école primaire de Luang Prabang. Comme beaucoup de maisons datant du protectorat, elle mêle un charme très provincial à des éléments locaux comme ces dragons qui gardent l’escalier.

10— Les anciennes résidences coloniales de la ville se sont, pour certaines, reconverties en hôtels haut de gamme. Installé dans l’ancien hôpital, l’Amantaka prescrit à ses clients les soins ultra luxueux de la chaîne Aman Resorts. 2 — Paniers en osier et soie tissée, les deux perles de l’artisanat local. 3 — La richesse de l’architecture de Luang Prabang doit autant à ses villas fin XIXe qu’à ses nombreuses maisons de bois sur pilotis, exemples préservés de l’habitat traditionnel lao.

Laos

Le Mékong… Un nom qui, à sa simple évocation, invite au voyage. Le long de ses rives, le fil des jours semble se dérouler plus lentement qu’ailleurs, et les visiteurs qui embarquent pour une croisière sur le fleuve se laissent gagner par une torpeur méditative, à peine troublée par le passage des barques de pêcheurs. En route, des scènes de vie rurales et des pauses sur des plages désertes pour un cocktail ou un dîner à la tombée du jour.

Chaque micro-quartier a son monastère qui, outre le sim, l’édifice principal dédié à la méditation, compte plusieurs bâtiments : des chapelles, des stupas, les habitations des moines… Au-delà d’un lieu de culte, ils composent un espace de vie où se croisent moines, novices et habitants venus prendre des conseils sur telle ou telle question. “Le bouddhisme theravada pratiqué ici cultive traditionnellement les valeurs d’ouverture et d’accueil. Les monastères n’ont pas de porte, chacun peut y passer, souligne un historien spécialiste de la culture locale. Ce sont aussi des lieux d’enseignement. 90 % des novices ont entre 11 et 18 ans et viennent de familles paysannes, la classe la plus pauvre. Le monastère représente ainsi l’unique opportunité d’accéder gratuitement à l’éducation. En ce sens, le noviciat constitue une étape dans l’existence. Seuls quelques-uns deviendront moine. Les autres retourneront au village ou trouveront un emploi en ville, mais ils seront dans tous les cas respectés, car éduqués. Un privilège dans ce pays démuni où posséder un livre est déjà un luxe. Songez qu’il n’y a que six librairies au Laos…

À l’aube naissante, les moines partent en silence quêter les offrandes des habitants. Quelques poignées de riz pour méditer : les fidèles sur la générosité, et les bonzes sur la pauvreté et l’humilité.

La ferveur religieuse de Luang Prabang s’éprouve chaque jour, au petit matin. Il est 6 h lorsque moines et novices parcourent pieds nus et en silence les rues de la ville pour le tak bat, la quête des offrandes. Déchaussés et agenouillés en bordure de trottoirs, les habitants attendent le cortège pour donner à chacun une poignée de riz chaud qui sera par la suite partiellement redistribuée aux enfants les plus défavorisés. L’image de la procession silencieuse des robes safran dans la lumière de l’aube est impressionnante. Elle est, hélas, souvent gâchée par l’indélicatesse de touristes qui ne résistent pas à réaliser des selfes ou à photographier les bonzes en gros plan. Les rues secondaires sont ainsi préférables à l’axe principal, perturbé par un crépitement de flashes digne du tapis rouge du Festival de Cannes. “Le tourisme constitue indéniablement un ascenseur social pour la population, constate un expatrié de longue date. Il participe aussi au financement des monastères qui dépendent exclusivement des dons. Mais il a ses revers… En dépit des recommandations des usages à observer affchées un peu partout, la discrétion de rigueur laisse à désirer.” Amour, compassion ou respect : ces valeurs fondamentales du bouddhisme n’ont pas encore éclairé le comportement de certains visiteurs. Peut-être devraient-ils suivre les séances d’initiation à la méditation organisées par certains monastères à destination des étrangers, possibilité qui est d’ailleurs également offerte aux groupes incentive…

Parfum d’hier et charme d’aujourd’hui

La péninsule de Luang Prabang, propice à la flânerie dans une ambiance alanguie, offre des contrastes saisissants. Le dépaysement d’un marché qui, entre fruits, légumes et herbes aromatiques, propose des insectes, des vers et larves non identifiés, des chauves-souris, des écureuils, des serpents… Un café au coin de la rue qui semble familier, avec son mobilier chiné, ses tables et chaises dépareillées, et qui sert des cafés-croissants accompagnés de la dernière édition du Monde. La cité présente aussi une architecture civile qui mêle des maisons précoloniales en bois sur pilotis, des bâtisses maçonnées datant du protectorat français (1893-1946) et des hybrides charmants, inspirés des deux styles. Ainsi la silhouette de la villa abritant l’Institut Français évoque une maison de province, mais son escalier est orné de dragons et sa toiture couronnée de fleurons, à l’image d’un temple. Ce fut la maison d’enfance de Pierre Desproges, dont le père était directeur de l’école primaire de Luang Prabang. Plus cossue, la villa Aman, construite en 1923 pour un membre de la famille royale, est implantée dans un vaste jardin se prêtant à des soirées de gala.

Luang Prabang est nichée dans un écrin de verdure, les temps de transfert sont négligeables, l’essentiel des activités en extérieur se pratique à moins de 30 mn du centre”, note Pablo Barruti, le directeur de l’Hôtel de la Paix qui vient de rejoindre la chaîne Sofitel. Trekking, kayak, VTT, moto : l’offre est complète. Dans ce qui fut le royaume du million d’éléphants, les balades à dos de pachydermes, très prisées par les groupes, sont souvent complétées d’une sensibilisation à la connaissance et à la sauvegarde de l’espèce. Il ne reste guère qu’un millier d’éléphants sauvages au Laos, l’exploitation forestière n’ayant cessé d’amenuiser un territoire naturel devenu dangereux par la pratique du braconnage. “Dans ce contexte, l’écotourisme protège les éléphants en leur permettant de ‘gagner leur vie’ tout en les préservant des travaux très éprouvants du bûcheronnage”, explique Sysouphan Onsomboun, responsable de l’Elephant Village. Ce camp, implanté en contrehaut du Mékong, à 15 km au sud-est de la ville, dispose de 300 hectares de forêt primaire sécurisée et organise pour de petits groupes – 25 participants maximum – des treks d’une demi-journée à deux jours avec les pachydermes.

1 — Les chutes de Kuang Si se présentent au bout d’une route traversant villages et rizières. Dévalant sur soixante mètres, ses eaux turquoises attirent la grande foule des baigneurs.

Le week-end, plusieurs cascades font le bonheur des Luang-Prabangais, en premier lieu les époustouflantes chutes de Kuang Si. L’eau y dégringole de 60 mètres en créant un effet brumisateur bienvenu. Les bassins bouillonnants d’une eau turquoise sont autorisés à la baignade et prennent souvent des allures de piscine municipale bondée. Chacun attend son tour pour se jeter dans l’eau à partir d’une liane ou d’une branche de banian, mais il suffit d’emprunter le chemin forestier qui grimpe sec au sommet pour trouver le calme. Le site est aussi utilisé pour organiser un déjeuner ou une cooking class, activité en vogue à Luang Prabang qui compte d’excellents restaurants. Ainsi, le réputé Tamarind enseigne le secret du laap – littéralement le bonheur–, le plat national. Il consiste en un émincé de viande grillée assaisonné de citron vert, de piment et d’échalote, le tout relevé d’une sauce de poisson. Accompagné d’un mélange de ciboulette, de coriandre et de feuilles de menthe finement hachées, ce plat frais et goûteux constitue l’incontournable des repas de famille et de mariage, car il est censé porter chance à qui le déguste.

2 — La société lao est toujours très empreinte de ses traditions. Rituels multiples, decorum fastueux, tenues colorées : les noces sont une grande fête et réunissent souvent plusieurs centaines de personnes autour de la mariée.

3 — Ancienne résidence du prince Boun Khong, la villa Aman se privatise pour des soirées très exclusives.

La sérénité du Mékong

Si le Laos est dépourvu d’accès à la mer, il est bordé par le Mékong, “la mère des eaux”. Plutôt tranquille dans la région, fréquenté par les barques des pêcheurs et les bateaux taxis desservant les villages, le fleuve offre aux groupes de nombreuses opportunités telles la visite des grottes de Pak Ou. Ce temple légendaire, à visiter tôt le matin, avant la foule, est creusé dans la falaise et fréquenté depuis le XVIe siècle. “Le fleuve est parfait pour sortir de la ville sans rompre avec la sérénité ambiante, remarque Antoine Lobry, directeur de l’hôtel Victoria. En haute saison, le niveau de l’eau est bas. On dispose alors de plages désertes idéales pour organiser un déjeuner ou un cocktail.” Rodolphe Gay va dans le même sens : “c’est le meilleur moyen de rayonner dans les environs, d’autant que l’état des routes laisse à désirer. Mékong Cruises possède trois bateaux privatisables, d’une capacité de 40 personnes chacun, qui permettent de compléter notre offre hôtelière en organisant des excursions d’une journée ainsi que des croisières comprenant une nuit en lodge.

Après deux heures de cabotage sur le Mékong, les bateaux à longue queue abordent aux grottes de Pak Ou. Creusé dans la falaise calcaire, ce lieu de pélerinage aux origines légendaires abrite une profusion de statuettes de Bouddha. Près de 4 000 effigies de l’Eveillé y seraient réunies.

Oisiveté silencieuse

Les trois heures de bateau nécessaires pour rejoindre le Kamu Lodge accordent aux groupes une séquence contemplation au fil du Mékong : l’ocre rouge du fleuve, le vert de la forêt moucheté d’une foultitude de nuances, les nuages accrochés au sommet de falaises, un rai de soleil sur des buissons de frangipaniers, un buffe labourant une rizière sur la berge… Les images évoquent une ambiance durassienne. Le lodge, privatisable et d’une capacité de 40 personnes, est constitué de 20 tentes étagées entre forêt et rizière. “Nous sommes implantés en mitoyenneté d’un village de l’ethnie kamu, avec qui nous avons mis en place un partenariat en créant des emplois et un fonds de développement”, explique Olivier Trafal, responsable du camp. Ainsi, une partie des villageois assure la maintenance du lieu, gère la restauration – certes, le service n’est pas celui d’un palace, mais il est effectué avec coeur – et participe à l’animation en initiant les visiteurs aux activités traditionnelles. Plantation et culture du riz, pêche à l’épervier, orpaillage, tir à l’arbalète, trekking d’identification des plantes médicinales : les occupations ne manquent pas dans cet ecolodge à l’ambiance conviviale. Il est aussi magnifiquement adapté à la mère de toutes les vertus, l’oisiveté : flâner dans un village authentique sans être harcelé pour acheter tel ou tel souvenir, musarder le long du fleuve, traînasser au bar en plein air longtemps après le coucher de soleil, écouter le silence…

Le Wat Xieng Thong, certainement le plus élégant et le plus célèbre des temples de Luang Prabang, dévoile sur sa façade une très belle mosaïque sur fond rouge représentant l’arbre de l’Illumination.

Capitale aux petits airs de province française au bord du Mékong, Vientiane mérite qu’on lui consacre du temps pour visiter, outre le Seetha Palace, de beaux temples centenaires.

Bien que Thaï Airways assure la liaison Luang Prabang-Bangkok, le retour en France peut faire le détour par Ventiane. Si la ville n’a pas le charme de Bangkok, Hanoï ou Ho Chi Minh Ville, elle possède néanmoins quelques jolis temples, notamment le Pha That Luang, monumental stupa doré et symbole du pays, et le Patuxai, un étrange arc de triomphe en béton des années 60 qui offre une vue à 360° sur la ville. Ici et là, on découvre certains attraits à Ventiane, le lit du Mékong par exemple, colonisé par une poignée d’agriculteurs cultivant concombres, tomates, choux et haricots verts. En période sèche, on s’y balade à pieds. Il y a aussi ces institutions un peu déglinguées qui assurent l’exotisme attendu. C’est le cas du Talat Khua Din, le marché du matin. Ce labyrinthe de boyaux étroits distribue un agrégat de constructions brinquebalantes croulant de tout ce qui peut se vendre, dont un incroyable rayon boucherie non réfrigéré.

Les vendeuses, juchées sur un petit tabouret installé à même l’étal, y officient pieds nus dans les abats. Mention spéciale à la “bibliothèque nationale”, non pas un quartet de tours comme à Paris, mais un coquet bâtiment colonial de la dimension d’une mairie de l’Ariège. L’enseigne est décrépie, le lieu manifestement peu fréquenté, mais pourvu d’un terrain de pétanque très animé. Ça tire et ça pointe avec précision ; l’équipe perdante paie sa tournée, vestige du protectorat français au Laos.

Le Wat Wisunalat, portant le nom du roi qui règna sur le Laos de 1501 à 1520, est le plus ancien parmi la trentaine de temples de Luang Prabang. Reconstruit à la toute fin du XIXe siècle après un incendie, son sim, ou édifice principal, accueille une impressionnante collection consacrée à la statuaire bouddhique.