INTERVIEWAttentats à Paris: «On a un manque de renseignements pour parer les coups», selon l'ancien juge Gilbert Thiel

Attentats à Paris: «On a un manque de renseignements pour parer les coups», selon l'ancien juge Gilbert Thiel

INTERVIEWL’ancien juge antiterroriste Gilbert Thiel, aujourd'hui adjoint à la ville de Nancy en charge de la sécurité, estime que les moyens actuels du pôle antiterroriste sont insuffisants…
L'ancien juge antiterroriste Gilbert Thiel, à Nantes en 2012.
L'ancien juge antiterroriste Gilbert Thiel, à Nantes en 2012. - SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA
Alexia Ighirri

Alexia Ighirri

Depuis les attentats du 13 novembre, on entend beaucoup parler du pôle antiterroriste. Gilbert Thiel en a été l’un des magistrats de septembre 1995 à juin 2014, « viré de force par la loi sur la retraite, mais sans parachute doré », ajoute-t-il. Désormais adjoint au maire de Nancy en charge de la sécurité et des libertés publiques, Gilbert Thiel explique à 20 Minutes le fonctionnement et le rôle de ce pôle en France.

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Comment marche le pôle antiterroriste ?

Il fonctionne à neuf magistrats [bientôt 10, a annoncé Christiane Taubira ce mercredi sur France Info]. Quand je suis arrivé en 1995, en pleine campagne d’attentats à Paris, ils étaient trois. On est resté à quatre jusqu’en 2003. Il a été décidé de renforcer ce pôle. Mais même à neuf, ça ne fait pas beaucoup de monde pour ce qu’on considère comme une menace vitale. Ces juges doivent gérer les affaires les plus lourdes pour lutter contre tous les terroristes qui agissent en France et qui font des victimes françaises à l’étranger. Il faut prévoir et empêcher, mais on n’est pas maître du calendrier des terroristes. Ils ont toujours l’avantage du choix de la cible et de la date. Son outil, c’est la police judiciaire et en amont les services de renseignement. Leur formatage fait qu’ils sont largement insuffisants face à l’ampleur de la menace. Pour le parquet, ce n’est guère mieux.

On comprend donc que le pôle ne dispose pas de tous les moyens nécessaires…

Des mesures ont été prises et elles ont le mérite d’avoir été prises. Mais elles ne produiront de l’effet que dans deux, trois ans. Chaque fois qu’on évoquait, à la radio ou sur les plateaux télés, le manque de moyens, on était inaudibles. Et pourtant c’est par là que ça se passe. Depuis une vingtaine d’années, on n’a pas mesuré l’ampleur du péril. On n’a pas adapté l’outil.

Justement, comment l’adapter face à une menace qui a évolué ?

Oui, la menace s’est planétarisée. La France a déjà été frappée par le passé pour sa politique étrangère : des Etats étaient commanditaires de ces actions et utilisaient des mercenaires. Il y avait donc encore un interlocuteur. Ça pouvait encore se passer au niveau diplomatique. Les services avaient pour finalité, quand les échanges étaient tendus, de localiser et intercepter les commandos. Maintenant, le péril vient de l’extérieur et de l’intérieur avec des gens qui ont la capacité de retourner des Français contre leur pays. Plus que jamais, la coopération internationale et judiciaire est une nécessité vitale. Elle existe mais elle n’est pas suffisante.

Le ministère a décidé de renforcer en magistrats le parquet antiterroriste. Une bonne chose ?

J’attends qu’on passe aux actes. Cela fait plusieurs années que tout le monde dit qu’on n’est pas assez nombreux. Et pas seulement pour les effectifs des magistrats : il s’agit aussi de le doter d’un outil important. Il faut par exemple renforcer les effectifs de la DGSI. Mon ancien collègue Marc Trévidic a raison de raconter que pour faire des perquisitions, il fallait prendre un ticket dans la file d’attente. C’est normal de prioriser, mais attendre un ou deux mois pour intervenir, là on marche sur la tête.

Il ne s’agit que de manque de moyens humains ?

Non, il faut du matériel électronique aussi. Un premier pas a été franchi avec la loi sur le renseignement. Je comprends que cela puisse susciter le débat, mais on a un manque de renseignements pour parer les coups. Or, le but du pôle antiterroriste est de prévenir en amont, contrairement à la justice normale : l’institution répressive ne doit pas réaliser de belles enquêtes après les faits, le mieux est d’empêcher de passer à l’acte. Ça ne peut pas être gagnant à tous les coups, mais pour être efficace il faut des renseignements. Je crois qu’il faut aussi investir davantage dans le renseignement humain. Passer par une source humaine est beaucoup plus court comme circuit. Les moyens humains et matériels vont de pair.

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