Un petit bout de Californie en pleine Afrique de l’Est. C’est ainsi que Samir Abdelkrim qualifie l’incubateur i-hub, qui accueille les créateurs de start-up kényans au cœur de la mégalopole vibrionnante de Nairobi.

La structure, où se rencontrent entrepreneurs confirmés, créateurs d’entreprises en devenir et financeurs, reprend les codes de la Silicon Valley. On y retrouve les mêmes canapés confortables, les mêmes mugs à café et même une table de ping-pong. Elle fait figure de modèle de réussite pour les nombreux autres incubateurs qui se sont créés sur le continent depuis cinq ans.

Samir Abdelkrim, blogueur spécialisé sur l’innovation dans les pays émergents, a entrepris en avril 2014 une tournée pour les visiter. Prévu initialement pour durer sept mois à travers six pays, le tour #AfricaTech est toujours en cours. Du Nigeria au Togo en passant par le Mali, Samir Abdelkrim en est à plus de 15 pays visités.

Un marché naissant

« Longtemps, l’actualité des nouvelles technologies se limitait aux États-Unis, à l’Europe et parfois l’Asie. Mais c’est en train de changer », constate le blogueur, qui a lancé récemment son cabinet de conseils et qui doit publier un livre pour tirer les enseignements de sa tournée sur le continent.

Si les incubateurs africains cherchent à imiter dans le style les start-up à succès californiennes, les réalités du marché africain restent bien loin de la Silicon valley. « On est déjà en France à des années-lumière de la Californie. Il faut savoir garder les pieds sur terre quand on parle des nouvelles technologies en Afrique », tempère ainsi Frédéric Martel.

Journaliste et chercheur, Frédéric Martel a entrepris une Enquête sur les internets, à la découverte des capitales mondiales du numérique. En Afrique, il s’est notamment arrêté pour les besoins de son ouvrage, en Afrique du Sud, géant économique du continent, où les nouvelles technologies sont déjà bien développées. Mais aussi en Afrique de l’Est, et notamment au Kenya, où il a visité i-hub.

Changer la vie grâce au numérique

L’auteur décrit dans son livre, publié en avril 2014, la grande créativité des acteurs africains du numérique, capables de créer des applications révolutionnaires « avec des bouts de ficelle ». « Dans les incubateurs africains, on n’est pas là pour s’amuser avec des chats qui font du skateboard », raconte-t-il. Il s’agit pour les entrepreneurs locaux, de trouver d’abord des réponses pour les habitants des mégalopoles du continent, où les services publics sont au mieux défaillants, voire inexistants.

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Les start-up africaines qui ont rencontré le plus de succès ces dernières années ont souvent pour objectif de satisfaire un besoin de base : la possibilité de payer de manière sécurisée, avec M-Pesa, l’accès à l’électricité, grâce à M-Kopa, qui installe des capteurs solaires et vend de l’électricité à plus de 180 000 foyers au Kenya, ou à la médecine, avec l’application Spoke seed, qui permet de détecter les faux médicaments en scannant les codes-barres.

« On ne va pas demander aux entrepreneurs privés de répondre aux problèmes posés par l’inefficience des États africains, estime Samir Abdelkrim. Mais en se regroupant dans des structures comme les incubateurs et en se structurant, ces créateurs d’entreprise peuvent trouver des solutions pérennes et changer la vie de toute une population. »

Générateur électrique et accès gratuit à Internet

Aux États-Unis ou en Europe, les entreprises incubées sortent souvent en levant des sommes très importantes, à la conquête de marchés vastes et matures. Sur le continent africain, le secteur reste dépendant du développement des infrastructures, notamment le réseau 3G, et l’équipement des populations.

Les incubateurs y ont le plus souvent un rôle structurant, dans un secteur naissant. « Ils permettent la rencontre des différents acteurs, mais aussi l’éducation des marchés et la sensibilisation des écosystèmes, résume Samir Abdelkrim. La devise de ces structures pourrait être : “on gagne ensemble ou on perd ensemble”. »

Comment, dans cette économie naissante, créer et permettre le développement d’un incubateur ? Premier prérequis : offrir des conditions matérielles qui favorisent les rencontres. Pour cela, il est indispensable pour ne pas être handicapé par les délestages – une ville comme Lagos peut être touchée jusqu’à dix à quinze fois chaque jour par des coupures électriques – de s’équiper d’un générateur électrique.

Dans des pays où les connexions Internet restent peu nombreuses, il est aussi indispensable d’offrir un accès à Internet stable et bon marché, voire gratuit. Il faut enfin que le lieu soit confortable et accueillant pour favoriser les rencontres.

Partenariats public-privé

La plupart des incubateurs Africains ont été lancés à l’initiative d’entrepreneurs locaux, parfois soutenus par des grands groupes. Le Mest a été créé à Accra en 2008 grâce au soutien de Meltwater, une multinationale suédoise spécialisée dans l’analyse de données en ligne.

La plupart du temps, les pouvoirs publics n’interviennent en soutien de ces structures qu’une fois qu’elles sont bien installées dans le paysage économique local. « On se méfie souvent de l’État dans ces pays, analyse Samir Abdelkrim, même si dans certains d’entre eux, les partenariats publics-privés fonctionnent bien pour structurer une communauté naissante. »

C’est le cas en Afrique de l’Ouest, où le réseau d’acteurs dans les nouvelles technologies est moins avancé qu’à l’Est. Les administrations locales, parfois soutenues par des institutions internationales de développement, fournissent alors souvent le foncier ou des locaux. Elles servent aussi de garant pour permettre aux jeunes entreprises de réaliser les emprunts indispensables à leur développement.

À Dakar, le CTIC est ainsi soutenu à la fois par les pouvoirs publics sénégalais, la Banque mondiale et des entreprises privées, comme Orange. En plus des financements et des aides publiques, le CTIC se finance aussi de manière plus classique et sur le même modèle que ses grands frères californiens, grâce au versement par la quinzaine d’entreprises incubées d’une partie de leurs éventuels bénéfices.

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De nombreux incubateurs sont référencés sur le site d’Afrilabs, qui a pour rôle d’organiser des échanges et des synergies entre les différents lieux présents sur le continent.

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Springlab, un incubateur sud-africain installé au Cap

L’Afrique du Sud est le pays le plus en avance du continent en matière de nouvelle technologie de l’information, et Le Cap est considéré comme la capitale des start-up. Springlab, à la fois incubateur et investisseur, a décidé de s’y installer en 2014.

I-hub, rendez-vous de la communauté « tech » à Nairobi

« Le Kenya est bien repéré sur la carte des technologies en Afrique », indique Frédérique Martel. « Un voyage dans la” tech” africaine passe obligatoirement par Nairobi », ajoute Samir Abdelkrim.

L’incubateur i-hub est un lieu central pour les acteurs de la « Silicon Savannah », le terme employé en référence à la Silicon valley californienne pour parler des entreprises du numérique qui se développent en Afrique de l’Est.

La Mest, école et incubateur, au Ghana

Meltwater School of Technology (MEST) est à la fois une école d’informatique, une académie entrepreneuriale et un incubateur de start-up. La structure a été fondée en 2008 à Accra, par Meltwater, une multinationale suédoise spécialisée dans l’analyse de données en ligne. Saya, un service de messagerie instantanée, ou encore KudoBuzz, pour aider les sites à développer leur audience, y ont vu le jour.

Un « Hub » pour accueillir les entrepreneurs Nigérians

Au Co-creation Hub (Cc Hub) de Lagos se croisent les ingénieurs, les entrepreneurs, les représentants du gouvernement et des grandes compagnies du secteur ou encore les investisseurs, à la recherche de la prochaine start-up nigériane à succès.

Partenariat public privé pour le CTIC au Sénégal

À Dakar, le CTIC a vocation à mettre en œuvre un modèle et un écosystème favorables à l’émergence et au développement d’entreprises dans le secteur des nouvelles technologies. Le CTIC est soutenu à la fois par les pouvoirs publics sénégalais et des entreprises privées, comme Orange.

Activspaces, l’incubateur installé au pied du Mont Cameroun

« Transformez votre idée en start-up ». C’est depuis 2010 le programme de l’Activspaces, installé à Buéa, la paisible capitale de la région Sud-Ouest du pays construite au pied du Mont Cameroun. « Le fait que le premier incubateur du Cameroun ait été créé dans la partie anglophone du pays montre peut-être l’écart qui existe en Afrique entre anglophones et francophones en matière de culture numérique », avance Samir Abdelkrim.

Akendewa, l’« araignée » pour tisser des liens entre les initiatives à Abidjan

« Akendewa » est une créature anthropomorphe, entre araignée et humain. Pour les fondateurs de l’incubateur du même nom dans la capitale ivoirienne en 2009, c’est le symbole des possibilités offertes par Internet.

Iceaddis, le plus oriental des incubateurs africains

Installé dans une ancienne galerie d’art composée par d’anciens conteneurs, l’incubateur IceAddis a pour rôle de permettre à l’Éthiopie de rattraper son retard dans le numérique.

EtriLabs aide les développeurs béninois

Etrilabs n’a suivi que 6 start-up depuis son lancement, si l’on en croit son site Internet. Mais la structure installée à Cotonou, qui propose des formations et un espace de co-working, devrait se développer dans les prochaines années.

iLab Liberia pour former aux nouvelles technologies

Le seul moyen d’obtenir une connexion Internet un tant soit peu stable au Liberia, pays qui se relève tout juste d’un long conflit, est de monter une antenne parabolique, qui fait le lien directement avec un satellite. Une de ces antennes trône sur le toit d’iLab, où sont organisées des formations aux nouvelles technologies.

Smart : Enquête sur les internets, Stock, 2014.