Billet de blog 26 août 2015

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Regroupements d’universités : Au nom de la loi

Deux ans après l'entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, 23 présidents d'université font le bilan des trois points centraux : les modalités des regroupements, leurs périmètres et leur objet. « Si la souplesse de l’organisation et une évolution en douceur ont été souhaitées avec sagesse par la représentation nationale (...), il appartient au pouvoir central de respecter le texte et l’esprit de la loi de 2013 tout en assurant aux établissements les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions. »

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Deux ans après l'entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, 23 présidents d'université font le bilan des trois points centraux : les modalités des regroupements, leurs périmètres et leur objet. « Si la souplesse de l’organisation et une évolution en douceur ont été souhaitées avec sagesse par la représentation nationale (...), il appartient au pouvoir central de respecter le texte et l’esprit de la loi de 2013 tout en assurant aux établissements les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions. »


La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a instauré une coordination territoriale fondée sur des systèmes de regroupement entre établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Lors des débats tenus à l’Assemblée nationale, le législateur a imposé une vision respectueuse des établissements, de leur liberté de choix et de leur égale dignité, indépendamment de leur taille ou de leur positionnement territorial, vision qui n’était pas initialement celle du ministère, soucieux de recomposer le paysage universitaire français en concentrant les moyens sur des sites et des thématiques ciblés.

Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, où en sommes-nous sur les trois points centraux qu’elle définit : les modalités des regroupements, leurs périmètres et leur objet ?

L’article L 718-3 du Code de l’éducation propose deux modalités d’organisation, qui peuvent également être combinées entre elles, pour assurer, de manière fédérale ou confédérale, la coordination territoriale :

-       la fusion, par la création d’un établissement nouveau (option qui existait déjà) ;

-       ou le regroupement d’établissements d’enseignement supérieur, qui lui-même peut prendre deux formes :

a) la participation à une communauté d’universités et établissements, dite COMUE ;

b) l’association d’établissements ou d’organismes publics ou privés concourant aux missions du service public de l’enseignement supérieur ou de la recherche à un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel.

Ainsi, en faisant l’exégèse du texte, la coordination territoriale (et son corollaire le contrat de site), qui est l’objet de ces organisations, se fait indifféremment de manière fédérale ou confédérale, mais nécessairement sur la base d’un projet partagé.

La fusion apparait alors respectivement comme un modèle d’organisation dans lequel le nouvel établissement, constitué en lieu et place des établissements fusionnés qui disparaissent, peut déléguer de manière descendante des compétences aux composantes des établissements fusionnés dans le cadre de ses statuts et faire le choix de modifier les délégations lorsqu’il le souhaite.

Les regroupements type COMUE et associations sont en revanche des confédérations dans lesquelles ce sont leurs participants qui délèguent de manière ascendante des compétences. Ce mode d’organisation autorise en principe les modifications de délégation par les membres ou associés, voire leur retrait, mais avec une réserve liée au fait qu’un décret prend acte des choix réalisés et leur donne valeur réglementaire.

Entre ces trois dispositifs, mis à égal niveau par le législateur, ce sont le degré d’intégration et le modèle de gouvernance qui constituent les variables.

La question du périmètre, quant à elle, est moins simple qu’elle ne paraît de prime abord. Sont obligatoirement concernés les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du seul ministère chargé de l'enseignement supérieur. Peuvent s’y adjoindre, de manière facultative, les établissements publics d'enseignement supérieur qui relèvent d’autres ministères et des établissements privés.

L’article L 718-2 du Code de l’éducation définit également le périmètre territorial, qui peut être académique ou inter-académique. Là, les choses se sont compliquées. L’académie y est affirmée comme l’élément déterminant de l’organisation territoriale alors même que les régions ont également un rôle important à jouer, renforcé depuis par la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République). Dans le cas des nouvelles régions fusionnées qui comportent plusieurs académies, la désignation de « super-recteurs », dotés de pouvoirs propres, a été annoncée. Dès lors que les académies subsistent, se posera la question du bon niveau de régulation qui devra être défini en fonction de ou par la répartition des compétences entre les recteurs.

Il conviendra d’ajouter à cet empilement de compétences dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, les métropoles qui, selon le site internet du gouvernement, ont « pour objectif de valoriser les fonctions économiques métropolitaines et ses réseaux de transport et de développer les ressources universitaires, de recherche et d'innovation. Elles assurent également la promotion internationale du territoire. » Or, les métropoles ont également des périmètres différents de ceux des universités et de leurs regroupements.

Ces différentes questions de périmètres et de compétences renvoient nécessairement à  une question centrale : quel est l’objet et donc l’intérêt de cette nouvelle organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre de ce qui est appelé une « politique de site ».

En revenant à l’esprit de la loi de 2013, l’objet annoncé est d’instituer un établissement coordonnateur, comme cela a été fait cette année pour les rectorats. Cet établissement est, soit le nouvel établissement issu d’une fusion, soit la communauté d’universités et d’établissements lorsqu’il en existe une, soit l’établissement avec lequel les associés ont conclu une convention d’association.

Cet établissement coordonnateur, vite rebaptisé « chef de file » par le ministère, est chargé, d’après la loi :

-       d’organiser la coordination territoriale à la fois de l’offre de formation et de la stratégie de recherche et de transfert sur la base d’un « projet partagé » entre les établissements regroupés portant sur les compétences qui ont été « partagées ou transférées » ;

-       d’élaborer un projet d’amélioration de la qualité de la vie étudiante et de promotion sociale sur le territoire avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires ;

-       de conclure la partie commune du contrat pluriannuel d’établissement entre le ministre chargé de l’enseignement supérieur et les établissements regroupés relevant de sa seule tutelle pour la partie relative au site.

L’établissement dit « chef de file » a ainsi un rôle d’animation et de coordination mais aussi, un rôle de représentation des intérêts du regroupement, notamment en négociant avec l’Etat le volet commun du contrat de site.

Or, dans l’esprit du législateur, le but des regroupements n’était pas de favoriser la concentration des structures et des pouvoirs en vue d’un pilotage politique des établissements par la tutelle réduisant d’autant leur marge d’autonomie. Il était d’aboutir à une meilleure qualité des relations entre établissements, de tailles, d’histoire et de culture différentes dans le cadre d’un aménagement équilibré des territoires et donc à une meilleure réalisation des missions confiées de formation, de recherche et de valorisation, par l’effet d’une coordination cohérente favorisant l’évolution de l’ensemble de l’ESR dans le respect des identités de chacun.

Le Code de l’éducation précise encore que l’Etat peut attribuer, pour l’ensemble des établissements regroupés, des moyens en crédits et en emplois aux établissements chargés de la coordination territoriale, qui les répartissent ensuite entre leurs membres. Cette disposition n’est pas sans poser problème dès lors que le modèle de la COMUE ou de l’association est retenu puisque l’établissement chef de file est alors à la fois juge et partie de la répartition des moyens attribués et cela d’autant plus qu’aux yeux du ministère, « un seul établissement demeurera le porteur unique de la stratégie commune ». Cette interprétation du ministère, précisée dans la lettre de Geneviève Fioraso du 28 février 2014 adressée aux chefs d’établissements, en revient, de facto, à concevoir l'association davantage comme un « rattachement » à un établissement  « chef de file » que comme une alliance entre égaux. Elle dénature l’esprit de la loi.

Mais définir l’objet et les outils ne révèle pas l’ambition qui sous-tendait cette réforme. La lecture du rapport Berger (2012) donne quelques indications sur ce point : réduire le nombre d’acteurs indépendants sur le territoire, rendre le paysage plus lisible, permettre une interaction à un niveau stratégique, favoriser une plus grande synergie entre les organismes de recherche et les établissements d’ESR, combler la césure entre universités et écoles, etc. L’avènement du concept d’université de rang mondial et conséquemment l’importance donnée à des classements internationaux a été très souvent évoquée également.

Pour toutes ces raisons, il conviendra d’évaluer sérieusement la loi de 2013, sur la partie concernant les regroupements, à l’aune de la réalisation de ces ambitions.

Dès lors que les établissements ont pour la plupart défini leur nouveau mode d’organisation territoriale, il est possible d’identifier un certain nombre de conséquences.

Chaque regroupement est spécifique et les compétences déléguées varient selon le regroupement voire selon les membres et associés d’un même regroupement. Par ailleurs, hors les cas de fusion, les participants gardent leur autonomie juridique et financière dans le cadre des compétences non déléguées et leur conseil d’administration définit la stratégie et les orientations de l’établissement concerné. Ainsi, par exemple, sauf dans les cas limités définis par le législateur, les établissements chefs de file ne peuvent pas devenir des destinataires uniques pour les courriers de l’administration ou des interlocuteurs privilégiés concernant les informations transmises. Et l’établissement chef de file ne peut agir comme représentant des membres du regroupement que lorsque la loi ou les statuts lui en donnent le pouvoir et dans les conditions fixées par les textes.

Cependant, le respect de la loi de juillet 2013 doit s'imposer à tous. Le Ministère de l'Education Nationale et de l'Enseignement Supérieur, tout comme la nouvelle HCERES, et le Commissariat Général à l'Investissement (CGI) ne sauraient développer une vision du pilotage des universités qui n'en tiennent pas compte.

Un des moyens de pression qui se dessine pourrait être, dans un contexte de diminution des financements publics pour l’ESR, de limiter les dotations récurrentes pour accroitre les subventions conditionnelles et ainsi orienter les choix dans le sens souhaité. Le « gouvernement à distance », qui se caractérise dans l’enseignement supérieur et la recherche comme dans le reste de la gestion publique, par le recours aux appels à projet et aux « bonnes pratiques », place les établissements faussement autonomes en concurrence déloyale et sur les rails d’une histoire écrite par d’autres qu’eux. Les conditions de ces appels à projets qui devraient porter principalement et de manière logique sur la nature et la qualité des projets susceptibles d’être soutenus, considèrent en premier lieu et de manière plus insidieuse le modèle d’intégration et de gouvernance du regroupement choisi pour orienter le choix des établissements plus particulièrement vers la fusion. Ce point a déjà été dénoncé par les signataires dans une tribune  « Universités et territoires : les 12 propositions des Universités de Recherche et de Formation ».

Ces subventions conditionnelles, notamment les IDEX, viennent exclusivement soutenir des fusions métropolitaines, créant ainsi des distorsions importantes selon les établissements et les territoires, la distorsion n’étant pas tant la cause de l’attribution de ces subventions que sa conséquence. Or, pour revenir au rapport Berger, la nécessité d’une correction des iniquités territoriales y avait été affirmée à plusieurs reprises. Elles y étaient qualifiées de sources de renoncement à la démocratisation de l’enseignement supérieur dans un contexte de forte augmentation des effectifs étudiants. De même, y avait été affirmé le fait qu’il y avait des niches d’excellence partout sur le territoire qui méritaient d’être soutenues. Fortes de ce constat, 23 universités avaient demandé début juillet, dans leur 11e proposition, que le futur PIA 3 intègre une logique de territorialisation. Elles réitèrent également leur souhait de constitution d’un groupe de travail rassemblant le ministère (cabinet, DGESIP, DGRI), les universités signataires et les territoires (maires ainsi que présidents d’agglomération, de conseils départementaux et régionaux).

Pour conclure, la modernité ne réside pas nécessairement dans la centralisation, bien au contraire. Si la souplesse de l’organisation et une évolution en douceur ont été souhaitées avec sagesse par la représentation nationale afin de laisser aux sites le choix du modèle qui leur paraissait le plus à même de favoriser les collaborations et la coordination, et ainsi de répondre aux enjeux de la diversité des situations et des projets, il appartient au pouvoir central de respecter le texte et l’esprit de la loi de 2013 tout en assurant aux établissements les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions. Son objectif n’est pas la concentration mais la coordination autour d’un projet partagé ce qui suppose la collaboration, dans un esprit de respect et d’équité entre les établissements, et de recherche d’efficience pour l’Etat.

Ainsi l’on tirera le meilleur parti du capital intellectuel présent dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche de notre pays.

Les signataires :                                           

Mohamed Amara, président de l’Université de Pau et Pays de l’Adour; Gilles Baillat, président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne; Éric Boutin, président de l’Université de Toulon; Olivier David, président de l’Université de Rennes 2; Michel Brazier, président de l'Université de Picardie Jules-Verne; Roger Durand, président de l’Université du Littoral; Rachid El Guerjouma, président de l’Université du Maine; Anne Fraisse, présidente de l’Université Montpellier 3 Paul-Valéry; Christine Gangloff-Ziegler, présidente de l’Université de Haute-Alsace; Yves Jean, président de l’Université de Poitiers; Fabrice Lorente, président de l'Université de Perpignan Via Domitia; Francis Marcoin, président de l’Université d'Artois; Corinne Mence-Caster, présidente de l’Université des Antilles; Jean-Michel Minovez, président de l’Université Toulouse - Jean-Jaurès; Mohamed Ourak, président de l’Université de Valenciennes; Jean Peeters, président de l’Université de Bretagne-Sud; Pascal Reghem, président de l’Université du Havre; Mohamed Rochdi, président de l’Université de La Réunion; Jean-Paul Saint-André, président de l’Université d’Angers; Pierre Sineux, président de l’Université de Caen-Normandie; Danielle Tartakowsky, présidente de l’Université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis; Loïc Vaillant, président de l’Université François-Rabelais - Tours; Denis Varaschin, président de l’Université Savoie Mont Blanc.

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