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Olivier de Ladoucette : “La vieillesse est un privilège réservé aux humains”

[Série] A une époque de profondes mutations, le rapport au temps est chamboulé. Nous avons invité des personnalités et des anonymes de tous horizons à se confier sur ce vaste sujet. Cette semaine, le psychiatre et gériatre Olivier de Ladoucette.

Propos recueillis par 

Publié le 19 novembre 2015 à 13h28, modifié le 20 novembre 2015 à 09h36

Temps de Lecture 5 min.

Olivier de la Doucette, psychiatre et gériatre attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Auteur de plusieurs ouvages dont le Nouveau guide du bien vieillir (Odile Jacob, 2011), le professeur Olivier de Ladoucette est psychiatre et gériatre attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et président de la Fondation Ifrad pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Il est chargé de cours à l’université Paris-V, où il enseigne la psychologie du vieillissement.

Comment notre rapport au temps évolue-t-il avec l’âge ?

Cette question pose avant tout la notion d’âge : on est toujours le vieux de quelqu’un, et l’évolution de notre perception du temps est très variable. Il y a une grande hétérogénéité dans la façon dont on perçoit la fuite du temps, cela n’entre pas dans une approche stéréotypée. Je dirai même que les différences sont de plus en plus marquées avec l’âge.

Au-delà de 65 ans, de nombreux facteurs font que l’on paraîtra plus ou moins son âge avec des écarts parfois impressionnants : itinéraires de vie, état de santé, âge physiologique, âge social (qui détermine la façon dont on vieillit par rapport à son entourage), âge intellectuel ou affectif. Entre le retraité de 70 ans très investi dans la vie sociale, actif, consommateur et en bonne santé, et celui qui est atteint d’une maladie invalidante, la perception du temps n’est pas la même.

Et lorsqu’on est à la retraite ?

La fin de l’activité professionnelle est aussi déterminante : on retrouve la maîtrise de son temps. Les jeunes retraités voient leur rapport au temps changer avec une gestion qui devient différente. Mais ce gain ne facilite pas toujours une bonne gestion. On observe souvent un moment de flottement important à la fin de la vie active. Le fait d’avoir un mode de vie moins contraint et encadré créé de l’angoisse.

“Quand on rentre dans la dépendance, souvent dans les trois dernières années de vie, le temps est ralenti”

Quand ils ont peu d’activités, certains ont la sensation que les journées passent plus vite, ou plutôt qu’elles passent sans qu’ils ne fassent grand-chose, comme si le temps désorganisé passait plus vite. Mais cela ne veut pas dire que l’on est moins heureux. Pour ceux qui ont la chance d’être en bonne santé, d’avoir des revenus et des moyens intellectuels pour bien organiser leur vie et la gérer de manière structurée, il est plus facile de freiner la course du temps : ils mettent des balises différentes, non plus subies mais voulues, qui permettent de freiner cette impression de temps qui file à toute vitesse.

La perception de la finitude vient-elle bousculer notre rapport au temps ?

Le sujet qui avance en âge, vers 70-80 ans, entrevoit plus clairement le compte à rebours qui le sépare de la fin. Chaque jour devient « le premier jour du reste de sa vie » pour reprendre la formule consacrée, avec une angoisse de la mort qui s’installe à des degrés divers selon les individus. C’est à ce moment-là qu’il devient nécessaire de structurer le temps et de lui donner du sens dans un contexte où l’on navigue entre passé, présent et futur.

Les retours vers le passé deviennent plus fréquents. C’est une période où l’on dresse aisément l’inventaire de sa vie, où l’on peut être taraudé par des souvenirs plus ou moins douloureux qui vont modifier la perception du temps au point d’accélérer ou de freiner le chronomètre personnel. Ces évolutions varient à nouveau beaucoup d’une personne à l’autre. Tout dépend de la façon dont l’individu se positionne par rapport à l’être, l’avoir ou le faire. L’état de santé, la qualité du réseau social et de la vie affective, le niveau d’investissement intellectuel et spirituel puis le confort financier jouent beaucoup là aussi !

Qu’en est-il dans la dernière ligne droite de la vie ?

Quand on rentre dans la dépendance, souvent dans les trois dernières années de vie, le temps est ralenti : c’est le temps des maisons de retraite (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et du maintien à domicile, et c’est encore un autre temps. Lorsque la personne est atteinte de maladies neurodégénératives (environ 60 % des résidents en maisons de retraites), elle se déplace dans un autre espace–temps : elle ne sait souvent plus son âge, ne se souvient plus de la date…

Le rapport au temps dans ces maladies est très impressionnant, la mémoire récente est altérée, il reste les souvenirs anciens, avec un gradient du présent au passé qui s’efface progressivement. Les personnes très dépendantes, indemnes de troubles cognitifs, ont pour leur part un temps structuré du lit à la chaise, et de la chaise à la salle à manger. Pour eux, les minutes paraissent des heures et les journées des minutes. Le temps présent est lent et les journées qui les rapprochent de la mort passent vite… c’est un rapport au temps paradoxal, qui est le propre de ces fins de vie…

Qu’est-ce que les personnes âgées vous expriment le plus souvent ?

Il n’y a pas un discours stéréotypé. Toutefois, lorsque le désir s’évanoui, il n’est pas rare de retrouver des situations bien décrites par La Fontaine dans la fable La Mort et le Mourant – un vieillard vivant de manière misérable appelle la mort pour le délivrer et en sa présence lui demande de repasser… plus tard. Elles expriment le désir que cela s’arrête tout en réclamant des soins… La vie n’a plus de sens. Ils expriment l’ennui et attendent la mort.

Olivier de Ladoucette :

Comment vivre la vieillesse tout en cultivant sa façon d’être ?

Ça se prépare très tôt et cela se conçoit comme un voyage intérieur, empreint d’une spiritualité laïque ou religieuse. Cela permet de transcender l’âge et de partager de beaux moments d’échange entre générations. Aujourd’hui, notre société met des rustines sur un dispositif de gestion du vieil âge qui prend l’eau de partout. Il est d’ailleurs symptomatique, quand on parle de vieillissement, de ne parler que des problèmes (les retraites qu’on ne peut plus payer, la Sécurité sociale, etc.) sans orienter les réflexions sur le bien vieillir ou la pédagogie de l’avancée en âge.

N’est-il pas curieux, dans la patrie de Jeanne Calment (morte à 122 ans), de bénéficier d’une espérance de vie élevée et de vivre dans une société où le taux de suicide des personnes âgées est parmi les plus élevés d’Europe ?

Cela est à mon sens assez caractéristique d’une société qui rejette les vieux. Le jour ou nous aurons le sentiment qu’être vieux n’est pas une maladie, il sera plus simple de vieillir pour vivre jusqu’au bout sa vie : la vieillesse n’existe pas dans la nature, les lions âgés ne font pas de vieux os… la vieillesse est un privilège réservé aux humains. Il nous faut l’apprivoiser.

Comment aider les personnes âgées dans l’évolution de leur rapport au temps ?

S’il n’y a pas une recette, l’essentiel est de donner du sens à sa vie, et que la vie ait du sens. Quand une personne âgée me dit qu’elle ne sert plus à rien, je tente de la rassurer en lui expliquant qu’elle est la pionnière d’un modèle de vie qui se multiplie vite, pour lequel nous manquons d’images identificatoires positives et de mode d’emploi. Je valorise l’exemple qu’elle donne aux générations qui sont en dessous : tant que les parents sont en vie, on pense à autre chose qu’à sa propre mort…

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