On a eu droit à tout : hommes en kilts, flasques de whisky qui passent de mains en mains, et même Ode à la joie, l'hymne européen, jouée à la cornemuse. Des milliers d'Ecossais - plus de 5 000, selon les organisateurs - se sont rassemblés ce mercredi soir sur le pelouse devant Holyrood, le Parlement écossais à Edimbourg, pour redire leur volonté de rester dans l'Union Européenne. Moins d'une semaine après le référendum qui a vu la victoire du «leave» à 51,9%, les Ecossais, qui eux ont voté pour le «remain» à 62%, n'ont pas l'air d'avoir envie de se résigner.
En toile de fond, les incroyables collines vertes qui surplombent la capitale écossaise apportent de la solennité au moment. Sinon, l'assemblée est festive et motivée. «Fromage, not Farage !» «Bairns not Boris !» («Bairns» signifie «gosses») «Hey, hey, Teresa May, migrants are here to stay !» Le rassemblement, à l'initiative du Youth European Movement (YEM), a attiré de nombreux étudiants. Mais pas que : le mouvement semble ratisser large - on compte autant de jeans que de costars, autant de casquettes que de bérets. Et beaucoup d'indépendantistes. Robert, 63 ans, a ressorti son T-shirt bleu «Yes» de la campagne de 2014 pour le référendum d'indépendance de l'Ecosse, où le «non» l'avait emporté à 55,3%. «Vendredi matin en me réveillant, j'ai eu l'impression d'avoir été trahi par l'Angleterre», lâche-t-il, espérant «très fortement» que la Première ministre d'Ecosse, Nicola Sturgeon, organise vite un nouveau référendum.
«Ce Brexit, ça m'a brisé le coeur»
«Ce Brexit, ça m'a brisé le coeur, comme si on m'enlevait une partie de moi», s'emporte Johnney Rhodes, l'un des porte-parole de YEM, à quelques minutes du début du rassemblement. «Est-ce que tu peux acheter un drapeau national ?», entend-t-on un jeune demander au téléphone. A ses côtés, Alex Foulkes, un biologiste de 41 ans, agite un grand drapeau européen. Il a fait partie de la campagne «Scotland stronger in Europe.» «Si l'Angleterre et le pays de Galles veulent quitter l'UE, ça les regarde. Mais c'est totalement anti-démocratique de ne pas tenir compte du vote écossais, qui a massivement soutenu le "remain". A Edimbourg, on était à presque 75% !»
Outre réaffirmer leur volonté de rester au sein de l'Union européenne, les organisateurs veulent aussi «redire à quel point nous avons honte des messages de xénophobie et anti-immigration portés par la campagne pour le Brexit, reprend Alex. Redire à quel point l'immigration bénéficie au pays. Heureusement, j'ai l'impression que les Ecossais voient l'impact positif de l'immigration. Et ça va dans les deux sens : nous aussi, on peut se déplacer librement, s'installer ailleurs. On en profite aussi : ce ne sont pas juste les autres qui viennent chez nous pour nous prendre nos boulots ! » Lui aussi estime qu'il y a «une dynamique très forte» au sein de la population écossaise pour un nouveau référendum d'indépendance.
«Aujourd'hui, c'est le début de quelque chose, d'un nouveau voyage, lance Johnney en préambule, dans son mégaphone, devant une foule attentive. L'Ecosse va décider de sa destinée, et personne d'autre ! L'Ecosse aura sa place en Europe. Nous allons explorer toutes les options possibles. Et pourquoi pas, celle d'un second référendum d'indépendance !» Des cris de joie et des applaudissements nourris viennent accueillir la déclaration.
Vers un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse ?
Au milieu de la foule, trois ados suivent les discours avec attention. «Le Brexit est totalement injuste : les 16-17 ans, qui vont le plus souffrir de cette situation parce que c'est notre avenir qui est en jeu, n'ont pas pu voter», regrette Grace. Pour les élections écossaises, les jeunes peuvent en effet voter à partir de 16 ans depuis peu. «Ca aurait probablement changé le résultat du vote…», abonde Daisy, pour qui «la soi-disant fierté britannique n'existe plus, si elle a jamais existé.»
Stephen, un enseignant d'un quarantaine d'années, parle de la journée de vendredi, quand les résultats du Brexit ont été connus, comme d'un jour «d'une tristesse incroyable», qui a «révélé, ou souligné, toutes les divisions et les différences à travers le Royaume-Uni.» Lui avait voté pour l'indépendance en 2014. Contrairement à sa compagne, qui jure «qu'aujourd'hui tout est différent», et qu'elle votera «très probablement oui».
Dans l'assemblée, on voit un peu de tout : beaucoup de drapeaux écossais, beaucoup d'étendards européens, quelques hybridations inédites des deux, un drapeau du parti écologiste, une pancarte «We stand together» («nous sommes unis»), une autre «In Nicola we trust» («nous croyons en Nicola»). La Première ministre, membre du parti nationaliste écossais SNP, était justement à Bruxelles ce mercredi pour rencontrer les leaders européens. «Je suis encouragée par la volonté d'écoute que j'ai trouvée aujourd'hui», s'y est-elle félicitée, à peu près au même moment où se tenait le rassemblement, ajoutant être «pleine d'espoir et d'optimisme», mais que la situation ne fléchait pas «une voie toute tracée» pour l'Ecosse.
Retour à Edimbourg. «Bonsoir, chers compagnons européens !, lance, bravache, une parlementaire écossaise du SNP, qui vient de prendre le mégaphone. Notre Première ministre est en ce moment en train de se battre pour nos droits. Quitter l'Union Européenne ? Over my dead body !» (1)
(1) «Quitter l'Union européenne ? Il faudra d'abord me tuer !»