Les enfants du Confort

La NR saisit l'occasion de l'évolution du Confort moderne pour revisiter les lieux
Par Dominique Bordier

Le 10 juillet, un jury d'élus et d’experts a choisi le projet d’aménagement du Confort moderne parmi les propositions de trois cabinets d’architectes.

Ce n'est ni le baptistère Saint-Jean ni la façade de Notre-Dame, « mais le Confort moderne est aussi en résonance avec la ville de Poitiers, il faut qu'il soit mis en lumière ! Le chantier de sa rénovation est le projet culturel phare de la mandature. » L'adjoint à la culture, Michel Berthier, enthousiaste, sait aussi poser les limites. « Mais je n'interviendrai jamais dans le domaine de la création ni dans celui de la programmationaprès on finit par repeindre les sculptures en bleu. »

Créer une liaison intérieure entre musiques et arts plastiques

Petit retour au temps de l'ancienne entreprise d'électroménager « Confort 2000 » qui devient en 1985 « Le Confort moderne », la nouvelle appellation de ces hangars du faubourg du Pont-Neuf qui sédentarisent alors les activités de l'association « L'Oreille est Hardie ». La friche culturelle s'avère particulièrement en phase avec une diffusion musicale audacieuse vite élargie aux arts plastiques. Et le « Confort », toujours en quête de nouveaux rivages visuels et musicaux, n'a de cesse depuis 30 ans d'y anticiper l'air du temps.
Très vite, dès 1988, la Ville de Poitiers procède au rachat des bâtiments et met, à titre gratuit, le lieu à disposition de l'association qui en assure la gestion et conserve toute latitude en terme de programmation.
Propriétaire des murs, la Ville est aujourd'hui le financeur d'importants travaux « à hauteur de 8M€, études comprises » pour lesquels le choix du projet retenu a eu lieu le 10 juillet. Ce choix a mis un terme au « dialogue compétitif » entre trois équipes d'architectes (retenues sur les 60 dossiers reçus) qui a permis de faire évoluer parallèlement les projets en plusieurs étapes au plus près de l'usage.
« Le projet réinterroge l'intention des pionniers : la friche artistique. C'est un lieu ouvert autour d'un bar, on y écoute de la musique, on voit des expos, explique Yann Chevalier, le directeur du Confort moderne. On veut rester sur des choses simples avec une seule équipe qui a intégré les dimensions musicales, des expos, des performances. L'idée reste celle de fabriquer des choses qui ne se fabriquent pas ailleurs dans un lieu décontracté où il est simple de passer la porte. L'un des éléments importantes du projet est de créer une circulation intérieure entre la partie musique et l'espace consacré aux arts plastiques. Ce qu'on a toujours fait jusqu'alors, mais de manière uniquement symbolique. » La nouvelle architecture des lieux sera la clé de cette passerelle entre les pratiques. Une chose est sûre pour Yann Chevalier : « La réhabilitation sera cohérente avec le lieu. On va avoir le Confort moderne dont on a rêvé, on va passer au Confort 3000»

" Un chantier support à la création "

> Le fonctionnement. L'activité du Confort moderne s'autofinance actuellement à hauteur de 30 %. Des subventions publiques couvrent les 70 % restants. Elles se partagent entre la Ville (40 %), l'État (30 %), la Région (20 %), les 10 % restant comprennent l'aide du département et un mécénat privé.
> Le bâtiment. Le site porte sur 6.500 m2 dont 3.500 m2 bâtis. « L'idée est de rester sur les mêmes proportions, explique Yann Chevalier. On ne veut pas jouer les princesses, notre projet, on le veut plus performant, plus fluide. Aujourd'hui, par exemple, le lieu d'exposition n'est pas chauffé, on aimerait aussi un espace concert pour une petite jauge. La Fanzinothèque est un lieu unique, il sera replacé dans le dispositif. L'ajout d'un resto associatif fait partie du projet. » Côté groupes musicaux, deux locaux de répétition de 25 m2(créneaux horaires) et un espace de 50 m2 (résidences) sont envisagés.
> Les architectes. Trois équipes ont participé au « dialogue compétitif ». C'est le cabinet bordelais « Construire » qui a été retenu.

" J'avais fait réparer ma télé à Confort 2000... "

Passionnée de culture contemporaine, Fazette Bordage a accompagné la naissance du Confort moderne avant d'en assurer la direction. Rencontre.



Si elle n'est pas des « historiques » du tout début de l'Oreille est hardie, l'association qui va éveiller Poitiers à des musiques nouvelles dès la fin des années 70, Fazette Bordage va marquer de son empreinte la création du Confort moderne. « Quand je suis allée à un concert d'Archie Shepp à l'amphi Descartes, j'étais étudiante en musicologie et en psychologie, je voulais faire de la musicothérapie, se souvient-elle. C'était génial de voir les artistes sur scène, la convivialité, l'émotion» Dans la foulée, se rendre au petit bureau que l'OH possède du côté de la place de la Cathédrale fut pour elle une évidence. « Il y avait là, Philippe Auvin et Francis Falceto. Je leur ai demandé si moi aussi je pouvais être utile. Ils m'ont répondu qu'il leur faudrait un peu de pub pour payer leur prochain programme, alors j'ai remonté la Grand'rue et je suis revenue le soir avec trois publicités… (rires) Et voilà, c'était parti ! »

Premier concert en Europe de Sonic Youth

Depuis lors, Fazette a fait un sacré bout de chemin. A 58 ans, elle est aujourd'hui à cheval entre Paris et Le Havre où elle pilote d'une main « Art factory », un réseau international connectant les friches culturelles, et de l'autre la reconversion d'un ancien fort militaire de 16.000 m2 pour la ville portuaire qui s'apprête à fêter son 500e anniversaire. « On y invente le lieu des cultures du XXIe siècle. Ce sont les associations, acteurs du terrain, qui sont dans leurs diversités les maîtres d'ouvrage de ce projet. On y trouve par exemple Tétris, un lieu de répétition de musique, fait en conteneurs. Le muscle de l'imagination est sans limite », insiste Fazette. Son principal moteur n'a pas varié : « Changer le rapport de l'art et de la culture à la population. »



Retour à Poitiers au début des années 80 où l'OH s'enhardie de plus en plus. « Chacun amenait sa musique, on faisait beaucoup de trucs au musée Sainte-Croix, il y a eu Tuxedomoon, Les Résidents, Glenn Branca… Moi, j'étais la plus rock. On voulait aussi faire des expos, la pluridisciplinarité ça nous paraissait évident. Il y a eu Rock hexagonal tendancieux à la Blaiserie avec Orchestre Rouge puis en 83 " Le Meeting " dans le pré face à Saint-Jo. C'était le premier concert en Europe du groupe mythique new-yorkais Sonic Youth, il y avait aussi les Lucrate milk qui s'entouraient de scotch… des punks venaient de partout pour les voir. A partir de ce moment, on s'est dit qu'il faudrait qu'on ait un lieu à nous… »



On a rencontré le propriétaire de « Confort 2000 » quand on a appris qu'il voulait louer ses entrepôts. « Étudiante, j'habitais dans le faubourg du Pont-Neuf et j'y avais fait réparer ma télé. Le lieu m'avait bien pluLe propriétaire avait d'autres demandes, mais il nous a donné la préférence. On touchait déjà des subventions, il a sans doute vu que ça pourrait un jour intéresser la mairie… (*)»
Toute la petite troupe de l'Oreille est hardie s'improvise alors collectivement chef de chantier pour construire les bases du futur « Confort moderne ». « C'était un peu la cour des miracles, il y avait toujours la musique à fond », se souvient Fazette. L'ouverture a eu lieu le 25 mai 1985. « On était porteur d'imaginaires avec une idée simple : " Faire ce qu'on a envie de faire plutôt que de faire ce qu'on nous dit de faire ". » Directrice jusqu'en 1992, Fazette réfute le titre : « Je me voyais plutôt comme une coordinatrice. Quand je suis partie de Poitiers pour développer le réseau de friches culturelles Trans Europe Hall, j'ai tout naturellement demandé à Isabelle Chaigne, alors présidente, de prendre la direction. » Concerts et expositions avaient déjà trouvé leurs places dans ce qui devient pour les initiés « Le Confort » : « On voulait que les gens se rencontrent, que des propositions venues du bout du monde nous bouleversent. »
Aujourd'hui, Fazette a conservé tout son enthousiasme et le Confort Moderne est vu de façon moins sulfureuse… « Pour l'inauguration de l'extraordinaire exposition James Turrell en 1992, le préfet m'avait appelé pour savoir s'il devait venir en blouson en cuir»

(*) La Ville de Poitiers procède au rachat des bâtiments en 1988 et en confie alors la gestion à l'association L'Oreille est hardie (mise à disposition à titre gratuit).

" C'était pas très orthodoxe nos affaires "

> L'Œil écoute. Fédéré « en gros » autour de la clientèle « curieuse » du disquaire situé alors face à l'hôtel Fumé, c'est le premier nom de l'association de diffusion musicale poitevine créée en 1977 lors d'une réunion improvisée au café du Théâtre. « On était bien une trentaine. Notre constat était qu'il y avait un manque, se rappelle Francis Falceto. On fait venir à l'amphi Descartes Henry Cow et Mike Westbrook, que personne ne connaissait, et on réunit tout de suite 700 personnes ! »
> L'Oreille est hardie. C'est la nouvelle appellation de l'Œil écoute à partir de 1979. Francis Falceto rend à César ce qui lui appartient : « Le nom revient au fan de jeux de mots Pierre-Jean RivaudC'était exactement ça ! » L'équipe se resserre principalement autour de Francis Falceto, Claude Deschamps et Jacky Tartarin, « Jappy » : « On était trois fous furieux ! » La nébuleuse OH propose le renouveau musical aux Poitevins par une programmation très originale de jazz, de musiques contemporaines, ethniques… Les concerts ont lieu dans des lieux de la ville aussi différents que l'auditorium du musée Sainte-Croix, l'amphi Descartes, le théâtre de Poitiers, le parc de Blossac, la piscine de Bellejouanne pour un concert subaquatique… Des productions d'art plastique y sont déjà associées avec le concours d'élèves des Beaux-Arts réunis sous le label Pick up art. « Et puis en 1982, il y a eu le Meeting sous-chapiteau avec Sonic Youth, Les Résidents et Glenn Branca au théâtre… un truc incroyable. »
> Le Confort Moderne. Pour l'Oreille est hardie, Francis Falceto, Fazette Bordage, Philippe Auvin et Yorrick Benoît vont piloter l'installation des activités de l'association sur un site unique faubourg du Pont-Neuf, en lieu et place de « Confort 2000 ». Francis Falceto : « Pendant un mois, on était une trentaine à travailler jour et nuit. La commission de sécurité nous attendait au tournant, mais à leur grande surprise, tout était OK. Avec le temps, on peut dire aujourd'hui qu'on a été les premiers en France, les plus radicaux. C'était pas toujours orthodoxe nos affaires mais on était des bosseurs fous. Quand j'y repense, c'est vraiment les dix meilleures années de ma vie. »
> Chacun sa route. Fazette Bordage prend les rênes du Confort (jusqu'en 1992). Yorrick Benoît crée en 1986 « Run production » ; basée à Lavausseau, la société est spécialisée depuis 30 ans dans les musiques du monde (Philippe Auvin en est le responsable administratif). Francis Falceto, domicilié près d'Evreux, est aujourd'hui producteur et impresario reconnu comme « le » grand spécialiste des musiques éthiopiennes. Il en est à plus de 50 voyages en Éthiopie.

Andy, l'Américain qui dit oui à la friche du faubourg

Spectateur ou acteur, l'Américain Andy Hales a toujours dit oui au Confort moderne. Depuis son arrivée à Poitiers, comme étudiant, en 1986. Parcours.


Le rêve américain, la Californie, LA… Andrew Hales - « on m'a toujours appelé Andy » - a fait, lui, le chemin inverse. Il étudie les Beaux-Arts à Ucla (University of California, Los Angeles) lorsqu'il débarque à Poitiers en 1986 pour un stage de langue à la fac. Mais c'est surtout le Confort moderne qui va lui mettre une sacrée claque. Aujourd'hui, il est toujours là et son parcours poitevin est intimement lié à ce lieu qui lui a fait dire oui à Poitiers. Après un an à Bordeaux et une année en Californie pour finir ses études, il est de retour dès 1988. Enfin pas vraiment que pour le Confort, pour une Poitevine aussi. A 49 ans, Andy habite du côté de Blossac et connaît aujourd'hui tous les recoins des hangars du faubourg du Pont-Neuf pour y être passé par tous les rôles : le spectateur de concerts de toujours s'y est aussi fait bénévole puis membre de l'équipe salariée… Il est même aujourd'hui vice-président de la Fanzinothèque et a fait partie du groupe qui a travaillé avec les architectes sur le devenir des lieux : « Des travaux, on en parlait déjà il y a vingt ans, sourit-il avant de rajouter. Les trois projets sont intéressants… »

" On parlait déjà des travaux il y a vingt ans "

En 1986, le jeune passionné de la scène alternative, punk et reggae, commence dès son arrivée à Poitiers à fréquenter les lieux : « C'était incroyable de trouver un lieu comme ça dans une ville de cette taille, se souvient Andy, dans une cité équivalente aux États-Unis, il y a les activités culturelles de l'université… s'il y en a une. ll n'y a pas de politique de culture subventionnée. Des concerts, il y en a éventuellement dans un ou deux bars. » Et des concerts, au Confort il en a vu des kilos. Un souvenir particulier ? « Il y en a eu tellement… " Burning spears " en 89, mais je les ai vus plusieurs fois et c'était pas leur meilleur concert. » Aujourd'hui Andy, grand amateur du festival poitevin Bruisme, a recentré son écoute sur les musiques expérimentales mais garde encore un petit faible pour le groupe punk néerlandais « The Ex » qui est venu cinq ou six fois au Confort. « La dernière fois, il y a trois ou quatre ans, ils étaient accompagnés d'un saxophoniste éthiopien, c'était extraordinaire. Il y a eu aussi " Shellac " l'an dernier, un groupe mythique aux États-Unis qui n'était encore jamais venu. »
Au Confort, Andy a, et a eu, bien d'autres casquettes. Et tout ça a commencé par un grand plongeon. « Comme on me connaissait, lorsqu'il y a eu l'exposition James Turrell en 1992, on m'a proposé d'être l'interprète de l'artiste à Poitiers pendant toute une semaine. J'avais vu une exposition de lui à Los Angeles, c'était incroyable. L'idée de son installation " Heavy water " il l'avait depuis longtemps, mais la mise en œuvre était tellement lourde que personne n'en voulait. Sa galerie parisienne a même essayé de le dissuader de travailler avec le Confort moderne en lui disant qu'on était plutôt punkLui leur a répondu : " Je m'en fous, ils vont faire ma piscine ". » Le retentissement de l'exposition sera très fort. Dans ce sillage, « il y avait besoin de quelqu'un, j'ai alors été pendant trois ans l'assistant de Dominique Truco, la responsable des expositions. » Préparation des expos, traductions, catalogues… sans compter l'investissement de tous les salariés les soirs de concert, en plus des bénévoles de l'association.

" Je m'en fous, ils vont faire ma piscine "

Aujourd'hui Andy est traducteur indépendant et consacre une bonne partie de son temps à sa pratique plasticienne personnelle en fréquentant l'atelier de gravure de Bernard Delaunay aux Beaux-Arts. Mais en 2009, Andy dira à nouveau oui, cette fois-ci à la Fanzinothèque qui fait appel à ses qualités de traducteur pour une table ronde. Il va alors redevenir bénévole sous le hangar, côté fanzines. Il est même aujourd'hui vice-président de l'association dédiée à la presse underground (voir ci-dessous). « Le Confort moderne est un lieu interdisciplinaire au croisement de l'art visuel et de la musique, la Fanzinothèque participe à ça avec un regard plus décalé. Le nouveau projet lui donnera plus de place et de lisibilité », assure Andy. Presque sans accent.


" Une vitrine en ville pour la Fanzinothèque le temps des travaux "

Il y a quatre ou cinq ans, Andy Hales a intégré le conseil d'administration de la Fanzinothèque avant d'en assurer la vice-présidence ces deux dernières années. « Le lieu existe dans les murs du Confort moderne depuis 25 ans, j'en suis un utilisateur depuis le début, j'ai toujours eu un intérêt pour la chose imprimée, underground, autoproduite. »
Fort de l'intérêt suscité auprès du public par ses « boutiques éphémères » hors les murs – en collaboration avec « La galerie du XXe » de Jean-Yves Allemand, Grand'Rue – l'association se verrait bien éclairée le temps des travaux du côté du centre-ville. « L'idéal serait de trouver une vitrine en ville pour acquérir de la lisibilité pendant cette période. Avec le nombre de boutiques vides, on devrait trouver quelque chose, commente Andy Hales. On a 50.000 documents à déménager, ça va être assez compliqué, l'idéal serait que tout soit au même endroit. »
« Actuellement la Fanzinothèque est très à l'étroit et quand il pleut, il nous arrive de prendre l'eau. La réhabilitation va nous donner plus de place et réunir l'ensemble de notre activité aujourd'hui séparée. » Avec son futur restaurant, la réhabilitation du Confort moderne vise aussi à amener plus de flux en journée autour des expos : « Tout ça va augmenter la visibilité de la Fanzinothèque. »

" Il y a eu pour moi un avant et un après James Turrell "

L'exposition " Heavy water " de l’Américain James Turrell a marqué l’histoire du Confort moderne. Et l’esprit de celle qui en assurait la surveillance.


La jeune Châtelleraudaise est arrivée en section sports études en classe de 5e à Camille-Guérin. A trois brasses et demi du Confort moderne. « J'ai intégré ensuite le pôle France au lycée jusqu'à mon doctorat en STAPS », explique au téléphone Marie-Agnès Dupuy depuis le « Lamis », son labo de recherche rattaché au CNRS à Valenciennes : « C'est un gros travail d'équipe pour lequel j'ai complété mon cursus par une formation en neurophysiologie. Je suis tombée amoureuse du cerveau ! »

" C'était le choc des civilisations "

Vice-championne de France sur 200 brasses et en quatre nages, Marie-Agnès Dupuy n'est pas du genre à surfer sur le palmarès de sa vie d'avant. « Quand je suis arrivée dans le nord pour mon travail de recherche, j'ai d'ailleurs complètement coupé avec le monde de la natation pendant quatre ou cinq ans, j'avais besoin de faire comme une sorte de deuil », explique-t-elle.



Passionnée par son travail de recherche fondamental autour de la notion de mouvement, elle est tout aussi ravie de parler d'une expérience poitevine qui fut pour elle très singulière. « Pour moi, le Confort moderne, c'était un autre monde. Je ne faisais que passer devant en allant à la fac. J'étais uniquement dans la natation et dans mes études », se rappelle-t-elle. « Comme je nageais beaucoup, j'étais plutôt en retard pour chercher un job de maître-nageur saisonnier pour payer mes études », et c'est par hasard que la jeune championne entend parler de cette drôle de piscine installée au Confort moderne.
« J'ai été reçue et embauchée toute de suite, c'était alors pour moi le choc des civilisations », s'amuse Marie-Agnès Dupuy. « Pour surveiller, je devais porter le maillot de bain créé par l'artiste comme les visiteurs, ça faisait partie du cahier des charges. Ceux qui venaient du monde artistique avaient parfois un problème avec l'image de leur corps, beaucoup ne savaient pas nager. Je devais m'adapter aux gens pour qu'ils puissent entrer dans un cube comme suspendu au milieu de la piscine sans les perturber dans leur découverte de l'œuvre, seulement les aider s'ils étaient en difficulté. La symbolique de l'œuvre était de faire un effort pour aller vers la lumière, comme une sorte de naissance », raconte la chercheuse avec comme un léger brin de nostalgie.


" Heavy water ", le pont d'une piscine à l'autre

« L'effort de faire l'apnée faisait partie de l'œuvre. Généralement ça se passait bien, j'avais pour rôle de rassurer tout en trouvant la bonne distance, j'ai accompagné des gens en leur donnant la main ou en les prenant dans mes bras. Il y avait aussi les curieux, des gens qui ne seraient pas venus s'il n'y avait pas eu les maillots rétro… Même si je n'en étais pas consciente à l'époque (*), je sais aujourd'hui qu'il y a pour moi un avant et un après James Turrell. Ça m'a beaucoup fait évoluer, c'était très riche. »
Aujourd'hui à 44 ans, cette maman d'un petit garçon habite Lille avec son compagnon, et roule avec une plaque 86 en souvenir de Poitiers. Et dans la région, elle ne rate pas beaucoup d'expositions d'art que ce soit au LAM (Lille art moderne), au « Grand-Hornu », une friche culturelle en Belgique, au Louvre-Lens… Ou encore à La Piscine à Roubaix.

(*) L'exposition « Heavy water » de l'artiste américain James Turrell s'est déroulée au Confort moderne du 28 mai au 11 octobre 1992.

" Vous êtes fous, c'est pas pour vous... "

« Quand on nous a dit : vous êtes fous, c'est pas pour vous… on s'est regardées avec Dominique Truco (NDLR : responsable arts plastiques) et on s'est dit : on le fait ! », se rappelle Fazette Bordage, alors directrice du Confort moderne. « Au moins 300 personnes nous ont donné un coup de main pour l'installation»
En 1993, l'œuvre est acquise dans le cadre de la commande publique par le ministère de la Culture et est appelée à être reconstruite dans un centre d'art du sud de la France. Imaginée également un temps au palais de Tokyo à Paris… la nouvelle installation d' « Heavy water » n'a finalement jamais eu lieu. Mais dans le cadre de ses missions culturelles pour la Ville du Havre, Fazette Bordage ne désespère pas de faire à nouveau plonger les visiteurs du côté de la Normandie…

" Le Confort moderne 
est au milieu de tout ça... "

Greg Cadu y fait chanter les quatre cordes de sa basse dans les box de répét' depuis près de vingt ans. Le Confort n’est pas loin d’être sa deuxième maison.


Ce qui m'intéressait c'était la musique et le skate… et les filles comme tout le monde. Le lycéen bressuirais est investi à fond dans le « Mogwaï skate team » et dans son groupe de rock « Dacyco ». « Du hardcore mélodique », comme ses idoles les Poitevins de Seven Hate. « Le Confort moderne ? J'y ai joué avant même d'y être spectateur, se souvient Greg Cadu. On était venu avec Gum et Sickbed, deux autres groupes de Bressuire, il y avait eu tirage au sort pour savoir qui finirait la soirée et on avait gagné, c'était important à l'époque ! », se marre-t-il, aujourd'hui.

Il arrive à Poitiers en fac d'anglais : « C'était la Mecque ! Il y avait des kebabs, pas de parents et la piste de skate sur le chemin de la fac. » Mais va vite poser sa basse au Confort : « J'suis un bosseur quand ça m'intéresse. Ici c'est ma cour de récré, le seul lieu où je peux entrer dans le bureau du directeur sans risquer de me faire engueuler… »

" C'est plus moi qui colle mes affiches pour mes concerts ! "

Fils d'enseignants, il remercie aujourd'hui ses parents de l'avoir bercé aux sons de Jimi Hendrick et de Woodstock puis de lui avoir permis d'embarquer pour l'aventure Seven Hate en lieu et place des rattrapages de juin à la fac. « Des copains de copains venaient de me dire que Les Seven Hate n'avaient plus de bassiste et voulaient savoir si j'étais prêt à jouer avec eux. Je connaissais tous leurs morceaux, on s'est rencontré le week-end, on a répété trois jours au Confort dans le box 4 et j'ai fait mon premier concert en Bretagne le vendredi ! » Entre les amplis, d'autres grands noms de la scène hardcore française comme Oneyed Jack ou Burning heads… « Moi, j'étais de la génération en dessous, ils ont tous dix ans de plus que moi… » Le gamin qui vient de franchir le pas n'en croit pas ses yeux : « Je suis alors dans les magazines de rock and roll et c'est plus moi qui colle mes affiches pour mes concerts… Le groupe avait déjà sa notoriété, après avoir joué dans les bars, maintenant on se produisait sur les scènes de musique actuelles, j'avais une feuille de paie… J'hallucinais ! »

" Et me voilà, l'éternel remplaçant ! "

Exit la fac, l'aventure Seven Hate va durer cinq ans et parallèlement Greg Cadu participe dès début 2000 à la campagne d'information sur les risques auditifs liés aux musiques amplifiés lors de concert-conférences à l'initiative du Confort. « On était musicalement très opposé avec les autres musiciens, moi plus métal, eux plus pop, ça nous aurait pas traversé l'esprit de faire des trucs ensemble»

Mais finalement, à l'été 2003, une première démo unit les contraires. Elle est enregistrée avec Guillaume Chiron à la guitare et Mathieu Guérineau à la batterie. « Le bassiste avec lequel ils jouaient était sur le départ, et me voilà, l'éternel remplaçant pour la création de Microfilm. »


Une aventure atypique qui va durer dix ans mêlant des bouts de bande-son aux compositions et des projections d'extraits de films sur scène. Dix ans de route pour les concerts et de « box 4 » au Confort pour les répétitions. « L'idée des films, c'était très clair dans la tête de Guillaume, on a d'ailleurs joué dans pas mal de festivals de cinéma comme celui de Gérardmer. »

Le come-back de Seven Hate

En 2014, Microfilm arrive à son terme mais Greg l'intermittent poursuit sa route. Déjà DJ sous le nom de Johnny Bootleg, il participe aussi à l'aventure Moon Pallas – devenu Kim Tim – et joue aujourd'hui dans Blanc carbon, avec François-Pierre Fol au violoncelle et Cyril Chessé aux ordinateurs, un ancien du Confort aujourd'hui moteur des Usines Nouvelles à la Filature de Ligugé. Le lieu est agréé pour la formation professionnelle, et Greg y est aussi formateur sur le logiciel Ableton live. Et puis il vient d'y avoir ce come-back de Seven Hate, reformé vingt ans après, il y trois mois pour une tournée française après résidence… au Confort moderne. « Une chose est sûre, pour moi le Confort est au milieu de tout ça ! »

" Ici on est au Confort, il faut laisser un peu de liberté "

Il n'est pas dans la lumière mais il est là à toutes les soirées du Confort depuis 25 ans. Hassan Maiza a fait de la médiation le cœur de la sécurité des lieux.


La techno, j'veux pas en entendre parler… Dans ma voiture, j'écoute plutôt du blues, de la soul, du jazz ou de la chanson française… Mais du côté Confort moderne, depuis 25 ans, Hassan Maiza est sans doute un de ceux qui a raté le moins de concerts, des centaines et des centaines, tous genres confondus. « Mes meilleurs souvenirs ? Johnny Clegg, Les Tambours du Burundi, Tracy Chapman, Césaria Evora et surtout Nass El Ghiwane, le hippie marocain… »

Au Confort, depuis la fin des années 80, Hassan a un rôle bien particulier. « Je suis là à toutes les soirées pour gérer la sécurité. A ceci prêt que lorsqu'on est au Confort, on n'est pas en boîte de nuit, il faut faire preuve de compréhension, laisser un peu de liberté tant qu'il n'y a pas de danger pour les lieux et les personnes. Ici je gère la sécurité incendie, je fais partie de la commission de sécurité et je fais surtout de la médiation lors des soirées. Il y a une tolérance telle qu'on n'en trouve nulle part ailleurs, on est donné en exemple par les autorités », explique Hassan accoudé à la mezzanine…

" Il y a une tolérance qu'on ne trouve nulle part ailleurs "

Hassan Maiza a les pieds sur terre et le calme à toutes épreuves. A 47 ans, il a une longue vie de judoka derrière lui. Arrivé du Maroc à Poitiers en 1982 pour intégrer le pôle France, il rappelle avoir battu Guillaume Faure, un champion du monde, sous le kimono de l'équipe de Judo-Vienne lors des championnats de France par équipes de 1re division qui se sont déroulés en 1999 aux Arènes de Poitiers. Dernier exploit avant sa retraite (compétitive) des tatamis.
« Dans les premières années du Confort, j'habitais dans le Pont-Neuf et je passais à pied devant quand j'allais m'entraîner au PEC. Je m'arrêtais au bar pour boire un lait-fraise, j'adore ça… Au début, ils se moquaient un peu, mais par la suite il y a toujours eu du lait pour moi, sourit-il. Les filles ne voulaient pas entendre parler de sécurité mais il y avait pourtant un problème régulier entre deux bandes. Une équipe de trois personnes a été créée et c'est à ce moment que je suis arrivé. En deux, trois mois, le problème a été réglé et du coup j'ai intégré l'équipe. D'abord comme salarié puis depuis plusieurs années comme prestataire avec la société que j'ai créée. »
Pas du genre Rambo, Hassan. Tout au contraire. « On a développé un vrai travail autour de la médiation, le résultat d'un vrai boulot d'équipe. Je participe aux réunions, on me demande mon avis. Ici, on est au Confort moderne. Quand il y a un gars qui monte sur scène, c'est pas la fin du monde, c'est pas la peine de l'éjecter. On se regarde avec les gars du groupe. On travaille ensemble. Tout ce qui a été mis en place dans le passé joue un rôle important. La plupart viennent ici depuis des années, ils connaissent les règles. Ici il y a une licence IV, il y a des responsabilités.
A la fin de chaque soirée, je suis dans la descente, j'observe ceux qui ont dépassé les limites. On leur offre une pomme, un sandwich. On les garde là vingt minutes avant qu'ils ne repartent. » Idem pour la drogue : « " Tu veux fumer, tu passes le portail ". Et en ce qui concerne les dealers, la première fois on leur explique que c'est pas le lieu, la deuxième fois, c'est la Bac* direct. »

" Quand il y a un gars qui monte sur scène, c'est pas la fin du monde "

La réhabilitation ? « C'est bien de rénover mais il ne faut pas toucher à l'âme du Confort. Ici on n'est pas au Tap. L'architecte doit penser à l'histoire du lieu, à faciliter le travail des techniciens. » Dernier message personnel de celui qui a vu défiler les groupes par centaines dans la salle du faubourg : « Depuis plusieurs années, il n'y a plus de premières parties du coin. Je l'ai dit et je le redis, leur offrir une chance sur une scène comme le Confort, c'est aussi leur donner une légitimité. »

*Brigade anti-criminalité, un service de la police nationale.

Rita mitsouko, Noir désir, NTM, Gojira, Shellac, the Do...

Le nombre exact n'est pas très important, mais en trente ans, le Confort moderne a programmé plus de 1.500 soirées de concerts marquées par cette curiosité, ce souci d'éclectisme et cet esprit de découverte.
Petit aperçu en trois thématiques (et par ordre chronologique) :
> Au Confort avant d'être connus. Rita Mitsouko, Sonic Youth, Iam, NTM, Dominique A, Fishebone, the Roots, Gojira, Birdy nam nam, Metronomy, the Do, Youssoupha, Skream…
> Déjà connus. Bashung, Fela, Noir Désir, Cesaria Evora, Dave Stewart, Divine Comedy, Yann Tiersen, Oxmo Puccino, Suicidal Tendances, Shellac, the Wailers…
> Les coups de cœur du Confort. Primus, Tool, the Ex, No means no, Seven hate, the Jesus lizard, Sleaford mods, Microfilm, Jon Hopkins, Napalm Death, Lightning Bolt, Alva noto, Blixa Bargeld…

De " La Salle de bains " à l'entrepôt du faubourg

Dernière arrivée de l'équipe, Jill Gasparina, 33 ans, est depuis janvier dernier en charge de la programmation d’art contemporain au Confort moderne.


La nouvelle Poitevine se déplace à vélo « dans une petite ville assez charmante où je commence à trouver mes marques ». Avant d'opter pour Le Confort moderne, Jill Gasparina avait déjà fait l'expérience de « La Salle de bains », un centre d'art associatif à Lyon, comme codirectrice de 2009 à 2013. « Un peu le même genre d'économie subventionnée qui tient sur l'énergie des gens, explique la nouvelle curatrice en art contemporain. Ça faisait 80 m2, j'avais fait le tour du truc. »

A 33 ans, Jill Gasparina n'a effectivement jamais perdu son temps devant la glace : agrégée de lettres avant de se réorienter vers un doctorat d'histoire de l'art à Paris IV, elle œuvre comme critique d'art indépendante tout en enseignant aux Beaux-Arts de Lyon et à la Haute école d'art et de design de Genève.
« J'étais venue ici l'été dernier voir l'exposition Ann Craven, quel bel espace de travail ! », poursuit Jill, installée sur un vieux canapé récupéré pour l'une des installations de l'artiste américain Justin Lieberman. Pas vraiment passionnée par la lourdeur administrative des fonctions de directrice de centre d'art ou de conservatrice, elle l'est visiblement beaucoup plus par les relations tissées entre rock et arts plastiques. Jill Gasparina n'a donc pas hésité à candidater pour ce poste de chargée de développement des expositions et de médiation au Confort moderne. Au plus près de l'artistique.

Plus proche de l'artistique que de l'administratif

« Nous étions une quarantaine de candidats, il fallait présenter un projet d'exposition avec budget et note d'intention plus générale sur ce que l'on voulait faire de cet endroit, explique-t-elle. J'ai proposé une exposition monographique de Justin Lieberman que j'avais rencontré l'année dernière à New York à l'Armory show, une grande foire d'art contemporain. Aux États-Unis, il y a peu de centres d'art, les artistes exposent dans des galeries ou des centres commerciaux. A 39 ans, celui qui était il y a quelques années une petite star du marché de l'art est passé du rang de branché new-yorkais au stade de paria. Le travail récent de Justin Lieberman est très autobiographique et m'a beaucoup plu. » Car la crise n'a pas épargné le monde de l'art et c'est ce que l'artiste met en forme sur toile avec beaucoup d'humour : son crash économique vu dans de sombres tableaux où trouvent places pêle-mêle factures, lettres de relances, de menaces…
Retenue pour le poste, Jill Gasparina va vite prendre la dimension des lieux en structurant une exposition rétrospective de l'artiste américain. « Il a été présent trois semaines pour installer son travail. On en a profité pour faire le tour des réserves et récupérer de quoi créer ici ce coin salon avec TV, lampes en grappes et affiches sur lesquelles on est tombés dans les archives. Passionné de musiques underground, il a choisi lui-même parmi les posters ses groupes préférés passés ici. Dans cette salle, sorte de " teen-ager room " se trouvent réunies des œuvres anciennesou dont il a honte de l'humour adolescent. » L'expérience privée et l'accumulation sont au cœur de cet ensemble intitulé « Je t'Empire » qui entame sa toute dernière ligne droite (jusqu'au 23 août).

Une équipe incroyable avec une vraie liberté

Arrivée en janvier dernier, Jill Gasparina voit dans le Confort moderne un lieu de travail merveilleux « avec une vraie liberté ». « L'équipe est incroyable, Guillaume Chiron va chercher des publics, on expérimente à plein de niveaux. Ce lieu a une belle histoire, j'arrive à un moment chouette pour participer à son évolution et l'idée de l'articulation entre musique et art m'intéresse beaucoup. »

De " Totem " à Justin Lieberman

Les expositions d'art contemporain ont toujours pris une large place dans la programmation du Confort moderne. De « Totem », première exposition collective installée dans l'espace bar dès 1985, à la rétrospective actuelle de l'œuvre de Justin Lieberman, la Mezzanine a par exemple accueilli Ricardo Mosner en 1987. L'entrepôt-galerie, encore dans son jus, trouvera son premier accrochage collectif avec « Hang Art » avant « Jardin théâtre Bestarium » (1989). James Turrell (1992), Fabrice Hybert (1998), Bruno Peinado (2000), Peter Coffin (2007) ou Rita Ackermann (2010) sont autant d'artistes de premier plan a en avoir fait voir de toutes les couleurs à l'entrepôt avec toujours cette idée d'ouvrir les yeux poitevins aux créations les plus audacieuses.