Placardé sur les places de parking et autres lieux "accessibles", le symbole du fauteuil roulant est trompeur: à l'échelle du handicap, les troubles moteurs lourds sont une goutte d'eau comparée aux 80% de maux "invisibles", non moins invalidants. "Le handicap au travail concerne aussi et surtout les maladies chroniques - diabète, cancer, sclérose en plaques... - ou les troubles psychiques, comme la dépression", rappelle Hughes Defoy, directeur du pôle métier à l'Agefiph (1). Tous les actifs peuvent être touchés. "La plupart des handicaps se créent au cours de la vie, pointe Stéphane Rivière, fondateur du cabinet spécialisé Talentéo. Les entreprises doivent intégrer de nouveaux salariés handicapés, mais aussi aider leurs collaborateurs touchés pour la première fois."

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Une vraie gageure, car les handicaps invisibles charrient leur lot de préjugés et d'incompréhensions. Premier risque: les minimiser. "Parce qu'ils ne sont pas spectaculaires, on pense qu'ils ne sont pas graves, regrette Cécile Hernandez-Cervellon, médaillée d'argent en snowboard cross aux Jeux paralympiques de Sotchi et consultante en entreprise. Les salariés handicapés peuvent se sentir obligés de justifier en permanence leurs difficultés, ou chercher à en faire plus pour compenser."

Certains n'ont même pas conscience de leur handicap. Par méconnaissance, comme ce directeur commercial atteint d'une hernie discale, croisé par Stéphane Rivière: "Il souffrait terriblement, à passer ses journées en voiture, mais ignorait qu'il pouvait faire reconnaître son cas." Ou parce que le handicap est encore vécu comme un stigmate. "Il traîne une image trop négative, celle d'une déficience lourde", déplore Jérôme Goust, consultant et auteur du guide Audition et vie professionnelle (éd. Néret). Beaucoup de malentendants, par exemple, "préfèrent payer leurs prothèses auditives plutôt que demander la reconnaissance comme travailleur handicapé, qui permet de les rembourser".

Ne plus craindre pour sa carrière

Faire connaître son handicap est pourtant la première condition pour que l'entreprise puisse agir. La médecine du travail et les missions Handicap peuvent alors jouer leur rôle, et décharger les managers d'une tâche délicate. "Les responsables d'équipes ne peuvent pas être naturellement à l'aise quand il s'agit de parler de maladie, prévient Alexandra Raimbault, responsable du développement des RH de Spie. Il y a des questions à ne pas poser, des mots à ne pas dire. Ça ne s'improvise pas dans l'immédiateté du travail quotidien."

Chez Generali, 20 "correspondants Handicap" quadrillent la France pour servir "de capteurs et de conseillers, décrit Florence Déchelette, responsable du pôle d'insertion des travailleurs handicapés. Cadres dans les directions, ils ne sont ni médicaux ni RH. Les salariés se sentent plus libres de s'exprimer." Ce travail au long cours porte ses fruits. Depuis 2011, Generali a répertorié 120 déclarations de handicap en interne, contre 85 recrutements de salariés handicapés.

Orange assure enregistrer 30 nouveaux cas par mois, grâce au "climat très inclusif" créé à coups de campagne de communication et de sessions de formation. "Des membres de comités de direction n'hésitent plus à me demander des informations sur la reconnaissance du handicap, se félicite Laurent Depond, directeur de la diversité. C'est bien la preuve qu'évoquer ses difficultés ne fait plus craindre pour sa carrière."

Outils adaptés, temps partiel, télétravail...

Une fois le handicap connu, vient le temps des solutions. Generali recense dans un guide les aides par pathologie: logiciels pour les malvoyants, plate-forme de retranscription audio pour les malentendants, souris ergonomiques pour les douleurs articulaires, etc. Autre possibilité, "revoir l'organisation du travail, note Alexandra Raimbault, de Spie. Le manager, le référent handicap et le salarié doivent trouver le bon rythme. Par exemple, un ouvrier diabétique sur un chantier pourra faire sa piqûre sans problème dans l'espace de repos, si son chef sait qu'il en a besoin à un moment de la journée". Le temps partiel ou le télétravail apportent aussi des réponses aux salariés handicapés.

Quelques entreprises vont plus loin en offrant un suivi personnalisé. Altran s'est adjoint les services d'un coach pour guider une salariée après un cancer. "Il l'a aidée à retrouver de l'énergie, l'élan perdu par la fatigue et l'éloignement prolongé de l'entreprise", explique Thierry Dufour, directeur du développement des RH d'Altran France. Utile pour maintenir les personnes en poste, ce type d'aide sur mesure permet aussi de recruter. Socia3, une entreprise adaptée filiale du groupe Soregor, a embauché des assistants comptables et des experts de la saisie de données, atteints d'autisme Asperger.

Accompagner "sur site"

"Même s'ils sont très diplômés, leur handicap social les prive d'emploi. Beaucoup de CDD n'étaient pas transformés car on les jugeait inadaptés à l'entreprise", explique Frédérique Bonnet-Brilhault, psychiatre au CHU de Tours, partenaire de Socia3. Avec elle, l'entreprise a réfléchi à des postes et à des conditions de travail adaptés. "Il fallait qu'ils exercent dans des pièces claires, sans distraction, détaille Benoît Pontroué, directeur général de Socia3. Il a aussi fallu routiniser et séquencer les tâches, être plus rigoureux sur les respects des plannings, pour qu'ils se sentent à l'aise."

Mais l'entreprise a surtout envoyé deux de ses salariées en formation au centre hospitalier pour qu'elles épaulent, à leur retour, les employés autistes. L'une s'assure de leur bien-être au quotidien et l'autre les assiste dans leurs tâches. Depuis mars 2013, Socia3 a recruté cinq candidats "Asperger". "L'accompagnement sur site, on sait que c'est ce qui marche", conclut Frédérique Bonnet-Brilhault. Dommage qu'il reste encore rare.

(1) L'organisme qui gère les fonds destinés à l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

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