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À la poursuite des origines de l’humanité

À la poursuite des origines de l’humanité

23.06.2016, par
Mission Namibie, INRAP
Reconnaissance dans l’une des grottes de Drotsky, au Botswana. Cette cavité contient de la brèche ossifère anciennement piégée. C’est exactement le type de contexte que les scientifiques ont recherché en Namibie, dans le même massif, à quelques kilomètres de là seulement.
Au printemps 2016, des chercheurs français sont partis en Namibie à la recherche de pièges à fossiles humains. Carnet de voyage de cette première mission d’exploration.

Durant quinze jours, du 25 avril au 5 mai derniers, le géomorphologue Laurent Bruxelles et ses collègues Marc Jarry et Grégory Dandurand ont mené une expédition en Namibie. Leur but ? Découvrir et explorer des grottes où les scientifiques pensent pouvoir mettre au jour des vestiges pouvant appartenir  à un nouveau morceau du berceau de l’humanité en Afrique.

Lundi 25 avril : Arrivée en Afrique du Sud

Sur une crête surplombant le site de fouille de Kromdraï en Afrique du Sud, trois hommes contemplent le soleil qui tombe derrière les collines de la vallée du Bloubank. Chercheurs à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et au laboratoire Traces1, les géomorphologues Laurent Bruxelles2et Grégory Dandurand, et l'archéologue Marc Jarry conduisent la première mission d’exploration du programme « Human Origins in Namibia »3. Une expédition qui doit les conduire aux confins de la Namibie, dans le massif des Aha Hills.

Nous allons en
Namibie dans une
zone complètement
inexplorée pour
voir si on trouve
de nouveaux
morceaux
du berceau de
l’humanité.

Avant de se rendre dans les collines reculées, Laurent Bruxelles et ses compagnons sont venus « se faire l’œil » dans le berceau de l’humanité, près de Johannesburg. Géomorphologue spécialiste du karst, l’homme connaît parfaitement le site. En 2007, il a intégré l’équipe du paléoanthrologue sud-africain Ronald J. Clarke, le découvreur du célèbre fossile Little Foot. Leur collaboration a permis l’an dernier de donner un coup de vieux à l’australopithèque. Daté aujourd’hui de 3,7 millions d’années, il précède de 500 000 ans Lucy, l’Australopithecus afarensis codécouvert par Yves Coppens en 1974 en Éthiopie.

Grâce à cette découverte, l’Afrique du Sud a été remise dans la course à la quête de l’origine de l’humanité. Une quête que Laurent Bruxelles compte à son tour marquer en partant dénicher des fossiles en Namibie.

Mission Namibie, INRAP
Les calcaires et les marbres datant de l’époque primaire sont fortement affectés par la dissolution. Des entrées de grottes ou de gouffres se cachent au milieu de ces lapiaz acérés.
Mission Namibie, INRAP
Les calcaires et les marbres datant de l’époque primaire sont fortement affectés par la dissolution. Des entrées de grottes ou de gouffres se cachent au milieu de ces lapiaz acérés.

« Toute l’Afrique est certainement le berceau de l’humanité, affirme-t-il. Ce qu’il faut chercher, ce sont des pièges à fossiles : le grand rift en Afrique de l’Est et les grottes en Afrique australe. Nous allons donc en Namibie dans une zone complètement inexplorée pour chercher des grottes, regarder les brèches, trouver des fossiles et voir si on trouve de nouveaux morceaux du berceau de l’humanité. »

Jeudi 28 avril : Bivouac du baobab

Parti de Joburg, comme est surnommée la capitale économique d’Afrique du Sud, l’avion qui mène l’équipe en Namibie est pris dans un violent orage juste au-dessus de Windhoek, la principale ville du pays. L’appareil touche durement la piste détrempée et repart dans un rugissement de réacteur. À bord, la panique gagne les passagers qui réajustent leur ceinture, interpellent le personnel de bord ou sortent une bible pour prier. Deux ronds dans le ciel plus tard, l’avion se pose enfin dans le petit aéroport de campagne.

Après une nuit de repos, Laurent Bruxelles, Marc Jarry et Grégory Dandurand récupèrent un 4 x 4 de location qu’ils remplissent de 400 kilogrammes de matériel, de vivres et d’eau. De quoi tenir dix jours en autonomie complète dans les désertes contrées qu’ils vont explorer. Il leur faut ensuite traverser le pays d’ouest en est pendant 800 kilomètres, dont 300 de pistes poussiéreuses et rectilignes. Après un jour et demi de route, le premier bivouac n’est plus qu’à une trentaine de kilomètres. Il fait nuit noire. Le chemin disparaît sous les herbes hautes. Des hyènes rigolent au loin. Le petit hameau situé à un kilomètre de là pourrait ne pas exister tant l’impression de solitude est forte.

Mission Namibie, INRAP
Bivouac du Baobab. L’équipe profite de la fraîcheur matinale pour s’entraîner aux techniques de progression sur corde en vue de l’exploration des gouffres de Wahxu.
Mission Namibie, INRAP
Bivouac du Baobab. L’équipe profite de la fraîcheur matinale pour s’entraîner aux techniques de progression sur corde en vue de l’exploration des gouffres de Wahxu.

Au matin, deux hommes, des enfants et un chien arrivent au camp du baobab pour encaisser le tarif de la nuit passée. Plus connus sous le vocable colonial de Bushmen, les Sans sont les descendants des premiers habitants de l’Afrique australe. Des tasses de café et cigarettes circulent de mains en mains pendant une ébauche de conversation.

Les trois scientifiques partent ensuite faire le tour de la colline toute proche. Laurent Bruxelles et Marc Jarry la connaissent déjà en partie. L’an dernier, leur courte mission de repérage a permis d’y découvrir des empreintes de félin dans une petite cavité. Cette seconde exploration ne révèle ni grotte ni fossile, mais Marc Jarry a tout de même trouvé son bonheur : « Il y a plusieurs sites lithiques contenant des outils ou des éclats, s’enthousiasme le préhistorien, spécialiste des dynamiques de peuplements au cours du Paléolithique. Ils datent sans doute du Middle Stone Age, entre 400 et 50 000 ans. On a ici une espèce d’usine à outils car les hommes de cette époque y trouvaient de la matière première, du quartzite en l’occurrence. »

Mission Namibie, INRAP
Deux sites Middle Stone Age ont été découverts lors des prospections. Ils sont situés près de sources de matériaux utilisés par les hommes du Paléolithique pour la fabrication d’outils.
Mission Namibie, INRAP
Deux sites Middle Stone Age ont été découverts lors des prospections. Ils sont situés près de sources de matériaux utilisés par les hommes du Paléolithique pour la fabrication d’outils.

En soi, ces vestiges ne sont pas exceptionnels, mais la Namibie est un pays très peu documenté. « On est dans une zone blanche, une carte que nous allons remplir de points, sourit Marc Jarry. C’est pour cela que notre projet porte sur “les” origines de l’humanité, les anciennes et les plus récentes. »

Dimanche 1er mai : Okavango

Après trois nuits dans la brousse et deux journées d’exploration parmi les acacias, les broussailles et les toiles d’araignée, l’équipe reprend la route pour changer de pays. Direction les grottes de Drotsky et de Waxhu au Botswana pour continuer à se faire l’œil. Dans cette région, un seul poste permet de traverser la frontière.

Il faut donc faire un long détour par le nord. Les trois compagnons en profitent pour allonger la boucle et faire escale le long de l’Okavango, le plus grand delta intérieur du monde.

La science s’arrête là où sont les lions.

« Ce delta constitue le niveau de base régional sur lequel se cale l’évolution géomorphologique de la région, y compris la formation des grottes », explique Laurent Bruxelles. Bien méritée, la pause dans l’auberge est l’occasion d’une bonne douche, d’un bon repas et d’un lit moelleux. De quoi recharger les batteries des hommes et des machines dans un lieu qui compte parmi les plus majestueux d’Afrique.

Lundi 2 mai : Grottes de Drotsky

À une cinquantaine de kilomètres au sud des Aha Hills, le désert du Kalahari aligne ses dunes recouvertes d’acacias. Jaillissant du sable, une longue colline de roche noire abrite deux grottes à sa base. Appelées « Gcwihaba », soit « le trou des hyènes », par les Sans, ces deux cavités sont plus connues sous le nom de « Drotsky’s caves », du nom du fermier qui les redécouvrit en 1934. Stalactites, stalagmites, draperies, le réseau labyrinthique asséché est d’une grande richesse, mais le plus impressionnant est ailleurs. À mesure qu’on s’enfonce dans les profondeurs, le sol se recouvre d’une couche toujours plus épaisse de poudre grisâtre. Cet amas de déjections et de roches désagrégées est le résultat de l’occupation des lieux depuis des centaines d’années par une colonie de chauve-souris qui recouvrent les murs des galeries.

On est dans
une zone blanche, une carte que nous allons remplir de points.

Dans ces lieux où se perd la notion du temps et de l’espace, Laurent Bruxelles, Marc Jarry et Grégory Dandurand étudient les concrétions et les roches à la recherche de la brèche, un béton naturel pouvant renfermer des ossements et de l’industrie lithique. Près de la sortie, une couche apparaît derrière une stalactite. Constituée de cailloutis de sable et d’argile cimentés par la calcite, sa couleur rouge indique son origine extérieure. De l’autre côté de ce bouchon de brèche, à l’air libre, les trois chercheurs explorent les broussailles

au-dessus de l’entrée pour retrouver la brèche mise au jour par l’érosion. Là, affleurant sur l’arrondi d’un rocher, un os fossilisé attend les scientifiques. Cette trouvaille renforce leur hypothèse : on peut trouver de la brèche ossifère dans les grottes des Aha Hills.

Mardi 3 mai : Dancing Spot

Le jour suivant, l’équipe poursuit ses observations dans les grottes connues des environs. Les deux gouffres de Wahxu plongent à 70 et 50 mètres de profondeur. Des spéléologues sud-africains les ont explorés en 2010, mais sans appréhender l’enjeu paléontologique. Pour rejoindre le plus profond des deux abîmes, le groupe doit tailler son chemin à travers 2 kilomètres d’une forêt très dense. En tête de la file indienne, une corde de 100 mètres sur les épaules, Laurent Bruxelles examine le sol pour éviter serpents et racines. Derrière lui, Marc Jarry et Grégory Dandurand portent les provisions et le matériel nécessaire pour l’exploration souterraine.

Lors des prospections, la faune sauvage est omniprésente. Si les zèbres sont toujours un émerveillement pour les chercheurs, d’autres animaux tels que les félins ou les éléphants les obligent à être très prudents.
Lors des prospections, la faune sauvage est omniprésente. Si les zèbres sont toujours un émerveillement pour les chercheurs, d’autres animaux tels que les félins ou les éléphants les obligent à être très prudents.

Soudain, Marc Jarry s’immobilise. L’entrée du gouffre est à une cinquantaine de mètres mais deux gros félins viennent de détaler dans les broussailles. L’allure, le pelage et l’odeur de fauve que le vent ramène d’un coup ne laissent guère de doute : deux lionnes se cachent dans les parages. Rapide conciliabule : le groupe rebrousse chemin au plus vite en faisant un large détour pour s’éloigner du danger. « Les lionnes sont parties, mais il y a peut-être un lion et des petits. Si nous descendons dans le gouffre et qu’ils reviennent pendant ce temps, comment ferons-nous ce soir à la nuit tombante pour retourner au 4 x 4. La science s’arrête là où sont les lions », conclut Laurent Bruxelles.

En spéléologie,
on peut
chercher des
grottes pendant
quatre jours et en
trouver toute une
série le cinquième.

Dépités, les trois Français se replient sur Waxhu South, le plus petit des deux gouffres, qui surplombe le Dancing Spot, un lieu de réunion des Sans. Après deux heures de dur labeur pour planter des chevilles tout au long de la paroi, toute l’équipe descend en rappel les 52 mètres de cette grande salle creusée dans une colline de marbre. 10 mètres de large, 40 de long, ses dimensions sont telles que les faisceaux des lampes se perdent dans l’obscurité. Au fond du trou, l’équipe découvre un crotale encore frais qui gît sur le pierrier. Du venin goutte à ses crochets, signe qu’il a pu chuter à l’arrivée des spéléologues. Juste à côté, un squelette intact d’oiseau attire l’attention de Laurent Bruxelles. Presque enfoui, l’oiseau a commencé le long et délicat processus qui le transformera peut-être en fossile dans des milliers d’années.

Une dernière émotion attend le groupe lors de la remontée. Lové sous un rocher, un python « goûte » de sa langue fourchue l’odeur des spéléologues qui passent là. Laurent Bruxelles, dont le jeune fils possède un spécimen, inspecte l’animal. « Il n’est pas dangereux, assure-t-il. Il a dû tomber là et va sans doute mourir de faim, faute de proie. »

Mission Namibie, INRAP
Remontée sur corde depuis le fond du gouffre de Wahxu South. Ce type de cavité est l’exemple de l’aven-piège dans lequel des ossements ont pu s’accumuler pendant de très longues périodes.
Mission Namibie, INRAP
Remontée sur corde depuis le fond du gouffre de Wahxu South. Ce type de cavité est l’exemple de l’aven-piège dans lequel des ossements ont pu s’accumuler pendant de très longues périodes.

Sans brèche à fossile, le gouffre est tout de même l’exemple type de cavités que recherchent les trois scientifiques : « On ignore quelle est l’importance du remplissage à la base du puits, mais plusieurs dizaines de mètres ont pu s’y accumuler. Des pièges de ce type ont pu exister de tout temps et, en fonction de leur histoire, contenir des restes d’homininés tels que les australopithèques. »

Mercredi 4 mai : Bivouac du marula

La dernière partie de l’expédition se déroule à quelques kilomètres de là, mais côté namibien. Une nouvelle journée de voiture s’impose pour gagner le plus perdu des bivouacs de ce périple. Une piste ensablée d’une trentaine de kilomètres. Pas de réseau téléphonique. Pas de hameau tout proche. Au pied d’un haut marula dont les fruits claquent au sol régulièrement, l’impression de solitude est totale.

Jusqu’au samedi suivant, l’équipe explore trois nouvelles collines très broussailleuses. Ces lentes et pénibles explorations ne révèlent qu’une petite cavité habitée par des porcs-épics. Pas de quoi décourager les scientifiques qui connaissent les aléas de la recherche. « En spéléologie, on peut chercher des grottes pendant quatre jours et en trouver toute une série le cinquième, observe Laurent Bruxelles. Michel Brunet lui-même a arpenté le Tchad pendant une quinzaine d’années avant de trouver le fossile de Toumaï dans le désert du Djourab. Il nous reste plus de 40 collines à explorer systématiquement. Il n’y a pas de raison que nous ne trouvions pas de grottes dans cette partie du massif. Pour tous les spécialistes, la Namibie est le pays où il faut chercher. Les Aha Hills cachent peut être en leur sein l’un de ces fossiles tant convoités. »

Notes
  • 1. Travaux de recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (CNRS/Univ. Toulouse Jean-Jaurès/MCC/EHESS/Inrap).
  • 2. Laurent Bruxelles est codirecteur du Pôle Afrique au sein du laboratoire Traces.
  • 3. Mission financée par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international.

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