Les lauréats du concours architectural, dévoilés mercredi, affichent des ambitions écologiques prononcées.
Publié le 02 février 2016 à 21h29, modifié le 03 février 2016 à 21h57Temps de Lecture 5 min.
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Rarement une compétition d’architecture aura suscité autant d’engouement en France. La Mairie de Paris a dévoilé, le 3 février, la liste des gagnants du concours « Réinventer Paris », lancé fin 2014. La mairie avait alors identifié 23 sites lui appartenant et lancé un appel « à projets urbains innovants » pour les transformer« afin de préfigurer ce que pourrait être Paris demain ». Sur les 650 dossiers admis à concourir, 75 candidats ont passé les oraux le mois dernier. Points communs des 22 lauréats – la reconversion d’un hôtel particulier du 17e arrondissement a été abandonnée en chemin, faute de projet convaincant : l’omniprésence des bâtiments « hybrides » et des espaces verts.
On trouve de tout dans la liste de ces 22 lieux parisiens à « réinventer » : quelques édifices protégés, des friches industrielles, des terrains vagues et des bouts de trottoir, d’anciennes gares, des logements et bureaux défraîchis, et même deux franges du périphérique. La programmation était libre pour une partie des sites, certains devant néanmoins accueillir un minimum de logements sociaux : au total, 12 projets sur 22 intègrent cette contrainte, portant à 675 le nombre de logements sociaux parmi les 1 341 habitations nouvelles. Les surfaces varient de quelques centaines à plusieurs milliers de mètres carrés.
Le site le plus vaste est l’immeuble du « Boulevard Morland », dont les 17 étages ont abrité la Préfecture de Paris jusqu’en 1964, puis des services de la mairie. Ses 40 000 mètres carrés accueilleront marché alimentaire, commerces, piscine, salle de sport, logements, hôtel, bureaux, crèche, auberge, centre culturel, bar panoramique, restaurant, ainsi que… 3 000 mètres carrés de cultures maraîchères. L’architecte de l’équipe n’est autre que le Britannique David Chipperfield, considéré comme l’un des maîtres du classicisme contemporain, accompagné dans l’aventure par l’artiste danois Olafur Eliasson, et par le paysagiste Michel Desvigne. « Ce projet exprime une volonté d’aller vers des bâtiments hybrides, avec de nombreux espaces collectifs. L’idée est aussi de privilégier des aménagements réversibles : les bureaux pourront devenir des logements et vice versa », précise l’adjoint au maire de Paris chargé de l’urbanisme, Jean-Louis Missika.
Anne Hidalgo, maire de Paris : « Au total, 26 300 mètres carrés seront plantés. Nous répondons ainsi au souhait des Parisiens, qui réclament une ville plus verte »
Potagers, jardins partagés, surfaces arborées et autres murs végétalisés : des espaces verts recouvrent la plupart des projets sélectionnés. L’importance accordée au bois comme matériau de construction et la priorité donnée aux bâtiments économes en énergie complètent ce souci environnemental. « Au total, 26 300 mètres carrés seront plantés, indique la maire de Paris, Anne Hidalgo. Nous répondons ainsi au souhait des Parisiens, qui réclament une ville plus verte. » La palme du projet le plus « écolo » revient à la réhabilitation de la gare Masséna, dans le 13e arrondissement : la Mairie promet un site de production agricole et de restauration bio, doublé d’un lieu de réflexion sur l’agriculture du futur. Surplombée d’une tour en bois, la gare est aussi appelée à devenir un lieu de fête pour les habitants du quartier. Ses promoteurs évoquent rien de moins qu’« une tour de Babel écologique de nature à constituer un repère dans le paysage urbain ».
Economie de « stars »
Dans un style radicalement différent, mais également empreint de préoccupations écologiques, le projet « Mille arbres », porté par le groupe Ogic et la Compagnie de Phalsbourg, s’annonce comme la réussite majeure du concours. Bâti au-dessus du périphérique, au niveau du boulevard Pershing, ce bâtiment élancé et futuriste reliera la porte Maillot, dans le 17e arrondissement, à Neuilly. Il porte la marque du Japonais Sou Fujimoto, artiste autant qu’architecte, qui a voulu planter un millier d’arbres sur les sept étages de l’immeuble. Suivant une structure en mille-feuilles, il accueillera sur son toit un village de maisons individuelles, un restaurant et un potager ouvert au public. En dessous est prévu un étage de logements, puis un autre de bureaux. Pour se rendre de l’autre côté du périphérique, les passants auront le choix entre traverser un parc ou emprunter une « rue gourmande », dessinée par Philippe Starck. L’inauguration du bâtiment, dont le coût est estimé à 167 millions d’euros, est prévue en 2022. «On perçoit le périphérique uniquement comme une source de nuisance, dit Emmanuel Launiau, président du directoire du groupe Ogic. Nous voulons démontrer qu’il est possible de créer de la richesse à partir de cette contrainte. Si nous réussissons, les Parisiens ne le verront plus de la même façon ! »
Egalement implanté au-dessus de la ceinture de Paris, le projet Ternes-Villiers, conduit par Jacques Ferrier, est moins surprenant. Selon une formule coutumière à cet architecte qui se partage entre Paris et Shanghai, il associe des tours amplement végétalisées et un lacis d’allées plantées. Aux nouvelles technologies qui caractériseront les bureaux répondront des structures en bois, devenues le nec plus ultra de la modernité. D’autres projets ne font qu’effleurer le périphérique, comme la Poterne des Peupliers (Parreira et Virga architectes) ou Clichy-Batignolles (Chiambaretta). Quelques-uns, enfin, ont accepté de tenter cette aventure dans le vif de la ville : rue Edison (Manuelle Gautrand), avenue d’Italie (L35 Architectes), ou rue Ordener (Hubert et Roy).
Si les projets n’ont pas tous suscité d’incontestables talents, quelques-uns sortent du lot par l’élégance de leur dessin
Est-ce un hasard ? Les jurys ont fait l’économie des « stars » de l’architecture. Hormis Morland – dont la présélection a fait émerger, outre Chipperfield, un tandem Lion et Mimram, Dominique Perrault et Shigeru Ban –, les architectes arrivés en finale sont souvent peu connus hors du milieu professionnel. Si les projets n’ont pas tous suscité d’incontestables talents, quelques-uns sortent du lot par l’élégance de leur dessin. C’est par exemple le cas de la rue Ordener, parcelle enclavée toute en longueur, dont la façade respire la sérénité. A la Poterne des peupliers, un dessin très retenu fait coexister un funérarium et une plateforme de logistique urbaine. Enfin, repensé par l’agence TVK, auteure notamment du réaménagement de la place de la République, le Triangle Eole-Evangile, rue d’Aubervilliers, propose une vision à la fois bucolique et urbaine d’un ensemble sévèrement architecturé.
Opération de communication orchestrée par la Mairie de Paris, « Réinventer Paris » se voulait d’abord un laboratoire d’idées neuves pour revitaliser la capitale. Sur ce plan, la méthode pourrait faire école. « D’habitude, promoteurs et architectes sont soumis à un cahier des charges drastique, qui les bride. Cette fois-ci, une grande liberté a été donnée aux créateurs, ce qui a permis un fourmillement d’idées. Nous ne concevrons plus les prochaines ZAC de la même façon »,promet Mme Hidalgo.
Fort de ce succès, la Mairie de Paris lancera en mars « Réinventer La Seine », une opération similaire sur les territoires allant de Paris jusqu’au Havre. Et une deuxième édition de « Réinventer Paris » est d’ores et déjà évoquée à l’horizon 2017. En attendant, les projets des 75 finalistes sont exposés au Pavillon de l’Arsenal, à Paris, du 4 février jusqu’au 8 mai.
L’originalité du concours est aussi d’avoir exigé que chaque équipe candidate rassemble des professionnels venus d’horizons divers (architectes, promoteurs, paysagistes, programmateurs, spécialistes de l’écologie…), afin de « décloisonner les compétences ». Et d’avoir intégré au sein des jurys des personnalités n’appartenant pas au sérail de l’architecture, comme le mathématicien Cédric Villani, l’anthropologue Michèle Baussant ou le microbiologiste Dickson Despommier.