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Jouer aux cartes Magic, un travail à temps plein

Les championnats du monde du jeu « Magic : l'assemblée », qui s'ouvrent mardi à Nice, rassemblent des joueurs qui ont fait de leur passion une profession, comme le Français Raphaël Lévy.

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Publié le 02 décembre 2014 à 19h44, modifié le 03 décembre 2014 à 12h00

Temps de Lecture 5 min.

Raphaël Lévy, au centre, après la victoire de l'équipe de France au championnat du monde par équipe de Magic en 2013.

Il est champion du monde par équipe en titre de Magic : l'assemblée, le jeu de stratégie addictif sur cartes à jouer dans lequel chaque joueur incarne un magicien armé de sorts imprimés. Il a aussi gagné plus de 275 000 dollars en jouant à des tournois depuis le début de sa carrière, et vit aujourd'hui de sa passion. Raphaël Lévy, 33 ans, est l'un des meilleurs « pro players » français, et écume depuis bientôt vingt ans les salles de tournoi à Paris, New York ou Tokyo. Cette semaine, il défendra son titre par équipe et tentera d'obtenir celui de champion en individuel, lors des championnats du monde qui se déroulent à Nice du 2 au 7 décembre.

Passe ton diplôme d'abord

Retour vingt ans en arrière. Raphaël Lévy, 14 ans, passe une adolescence tranquille à Toulouse. « Plutôt attiré par la compétition », il joue déjà aux échecs lorsqu'il découvre Magic avec quelques copains. « Au début, on faisait n'importe quoi, on jouait avec des règles maison », rigole-t-il. A l'époque, dans les années 1990, les premiers tournois commencent à s'organiser en France. Championnats régionaux, championnat de France, Magic réussit plutôt bien à Raphaël, qui enchaîne les victoires et les qualifications jusqu'à son premier Pro Tour, ces tournois internationaux, sur invitation uniquement, dotés d'importants prix en cash. Il tombe sur des joueurs d'un tout autre niveau, et c'est une leçon d'humilité : « A 15-16 ans, quand tu réussis à quelque chose, tu es vite un peu trop content de toi. A mon premier Pro Tour, j'étais largué ! » 

En quelques années, un petit milieu de joueurs professionnels ou aspirant à le devenir s'est pourtant constitué en France. Leur Graal, c'est le « gravy train » : obtenir suffisamment de victoires sur le circuit pour être automatiquement qualifié pour le Pro Tour, sans devoir passer par de hasardeux, difficiles et fatigants tournois qualificatifs. Raphaël Lévy n'a pas assez de points : « Un autre joueur et ami, Manuel Bevand, m'a dit 'je te promets une place dans mon équipe, mais il faut que tu te qualifies pour le prochain Pro Tour'. Un samedi après-midi, j'ai pris un train de nuit, sept heures de trajet pour aller à Dijon jouer à un tournoi qualificatif. J'avais réglé la sonnerie de ma montre Casio pour qu'elle me réveille avant mon arrêt... » Il ne le sait pas encore, mais ce sera son dernier tournoi qualificatif. Après une victoire à Dijon, il réalise une bonne performance au Pro Tour, qui le qualifiera pour les suivants... et depuis 1998, c'est le seul joueur au monde qui n'ait pas raté un seul tournoi du circuit Pro.

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En parallèle, il poursuit les cours au lycée, « en faisant le strict minimum » et en obtenant logiquement « la moyenne ric-rac ». Des parents compréhensifs le laissent rater les cours pour aller au Pro Tour. D'autres joueurs abandonnent complètement le lycée et ambitionnent de vivre uniquement du jeu. Malgré de bons résultats et des gains importants pour un bachelier, Raphaël Lévy décide cependant de poursuivre ses études. Ce sera la fac, d'abord en mathématiques, puis en langues étrangères appliquées (LEA) – « ça nécessitait moins de travail, je me débrouillais déjà très bien en anglais et j'étais bon en espagnol ». Il poursuivra jusqu'à la maîtrise. « A l'époque, on ne savait pas si le jeu allait tenir. Et puis il n'y avait pas encore de sponsors : une mauvaise performance à un Pro Tour, et tu ne gagnais rien ou presque pendant quatre mois. » D'autres tirent des revenus de la revente de cartes. « Ce n'était pas mon truc. J'ai toujours gardé à l'esprit le fait qu'il fallait que j'aie un diplôme. »

Cartes à jouer et jiu-jitsu brésilien

Maîtrise en poche, il part en Suède, où il donne des cours de français, et, surtout, continue à jouer à Magic. Quand il revient en France, au moment où d'autres joueurs à succès plaquent tout pour jouer à 100 %, allant parfois jusqu'à déménager dans des pays où le coût de la vie est plus faible, et combinent leurs gains avec ceux du poker, Raphaël Lévy préfère... chercher du travail. « Le poker en ligne, des heures par jour, ça n'était pas vraiment pour moi. Il ne faut pas que jouer soit une corvée ! »

Mais le rythme de vie de joueur professionnel n'est pas franchement compatible avec des horaires de bureau. « Les joueurs professionnels travaillent en équipe, il faut être disponible, s'investir : pour préparer un tournoi, on loue un logement à dix ou douze pendant une ou deux semaines, et on teste nos stratégies non-stop. C'est impossible de faire ce genre de choses quand tu n'es pas ton propre boss, tu ne peux pas te pointer trois jours avant le tournoi en touriste. » Il crée son entreprise, devient traducteur freelance. Il écrit également beaucoup pour des sites spécialisés, ce qui lui assure un revenu régulier. 

Et un jour, c'est le déclic : il décide de sauter le pas et de « vivre de toutes ses passions ». Ce qui le pousse par exemple à lancer Jits, un magazine sur le jiu-jitsu brésilien, une autre de ses spécialités. « J'ai commencé à m'entraîner il y a cinq ou six ans, et ça fait partie de mon équilibre. Quand je pars à un Pro Tour à l'autre bout du monde, j'en profite pour m'entraîner à droite à gauche dans plein de clubs différents. »

Raphaël Lévy (ici en chemise bleue) lors des championnats du monde par équipe en 2013.

Depuis, le circuit des tournois Magic s'est davantage professionnalisé. Un système de points qui assure à la poignée de joueurs qui occupent le haut du classement un revenu régulier et des déplacements payés aux tournois, en contrepartie d'une assiduité sur le circuit. « Quand je rencontre des gens et que je leur explique ce que je fais dans la vie, ils pensent que ce sont des vacances permanentes », s'amuse-t-il. « En fait, c'est tout le contraire, j'ai l'impression de ne plus jamais être en vacances. Deux semaines avant un tournoi, la tension commence à monter, tu vas manger tu y penses, tu vas te coucher tu y penses... »

Raphaël Lévy ne fait pas qu'y penser : il joue, surtout. Plus qu'aucun autre joueur au monde : d'après le décompte officiel, il a disputé 2 800 parties au Pro Tour ou dans les Grands Prix, un autre format de tournoi. Quatre fois plus que le deuxième joueur le plus actif. Et il est le joueur ayant obtenu le plus de points sur le circuit pro, grâce à des performances régulières et à une carrière ininterrompue.

De quoi lasser, à terme ? Après près de vingt ans de cette vie de joueur professionnel, il n'échangerait pas sa place : « C'est un luxe de pouvoir vivre de mes passions. » Le jeune marié fait le tour du monde deux fois par an, sa femme l'accompagnant régulièrement en déplacement pour les tournois. Il ne se voit pas raccrocher à court terme : « Tant que je gagne, je joue. »

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