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« On peut créer des alternatives à Google avec le logiciel libre »

Gaël Musquet a co-fondé en France la communauté OpenStreetMap (OSM) dont il a été le premier président. Alors que s’ouvrent ce week-end à Beauvais les Rencontres mondiales du logiciel libre, il explique le rôle central de la communauté du Libre face à la concentration des données.

Par  (Propos recueillis par)

Publié le 03 juillet 2015 à 17h47, modifié le 20 juillet 2015 à 10h55

Temps de Lecture 5 min.

Une carte de l'Europe sur OpenStreetMap

Gaël Musquet a co-fondé en France la communauté Openstreetmap (OSM) dont il a été le premier président. Ce projet participatif, véritable Wikipedia de la carte géographique lancé en 2004 par le Britannique Steve Coast, s’est donné pour objectif de constituer une carte numérique à partir des contributions volontaires de milliers d’internautes.

Défenseur de l’ouverture des données et du logiciel libre (qui n’appartient pas à une entreprise et peut être utilisé par tous), Gaël Musquet accompagne désormais les collectivités et entreprises d’Ile de France dans l'utilisation des données libres, au sein de la Fonderie, l’agence numérique de la région. Alors que s’ouvrent ce week-end à Beauvais les Rencontres mondiales du logiciel libre, il explique le rôle central du Libre face à la concentration des données.

Vous avez cofondé la communauté OpenStreetMap en France en 2011. Quel bilan en faites vous aujourd’hui ?

On vient de franchir une étape fondamentale, celle de la co-création du premier jeu de données d'adresses. La base adresse est consultable sur le site data.gouv.fr où l’on trouve à la fois les jeux de données libérés par la communauté d'OpenStreetMap, et ceux des services de l’Etat, l'IGN et la Poste, ainsi que des outils pour les utiliser. L’enjeu est fondamental en terme d’innovation et d’indépendance. L'adresse, c'est la première chose dont on a besoin pour retrouver son chemin, calculer son itinéraire, effectuer des livraisons, secourir des blessés...

Quel est l’intérêt d’un tel projet ?

Jusqu'à présent, seules des entreprises comme Google et Amazon avaient les moyens financiers d’acquérir, traiter des adresses pour la localisation des biens et des personnes en France. Les PME capables de concurrencer les grands groupes américains n'ont pas les moyens d'investir dans ces données, ce qui les handicape pour développer de nouveaux services. Il existe un gros potentiel d’innovations autour des données cartographiques. Chaque jour des projets émergent, sur lesquels la communauté OpenStreetMap se mobilise. L'autre chantier c'est d'accompagner l'Etat, les collectivités dans la gestion des données cartographiques pour préserver une indépendance française dans ce domaine. On commence à rejoindre les pays qui ont une démarche innovante dans ce domaine comme le Danemark. Et la démarche fait école puisque les États-Unis et le Brésil suivent le même chemin.

La plupart des grosses entreprises du numérique sont américaines. Comment rétablir un équilibre ?

On a confié aux Gafa la gestion de nos données et de notre vie privée. Avec le mouvement des données et du logiciel libres, nous défendons des projets qui permettent à chacun de se rapproprier ses données et leur exploitation, pour réduire la dépendance aux entreprises américaines et faire évoluer les pratiques, en créant par exemple des alternatives plus respectueuses de la vie privée. Pour nous, le problème n’est pas que les Gafa existent, c’est qu’il n’existe aujourd’hui QUE les Gafa.

C'est un peu comme pour la nourriture : il faut varier son alimentation. Dans le numérique aussi, des alternatives sont nécessaires. Sinon on risque des conséquences telles que la censure de certains contenus, la concurrence déloyale, l’obsolescence programmée... Il faut une « biodiversité » technique, de solutions. L’autre avantage des communautés, c’est que l’on peut développer sur le long terme des projets humanitaires comme en Haïti ou au Népal où les données cartographiques sont rares; De tels projets n'intéressent pas Google ou alors de manière ponctuelle. On est les seuls à produire ces données et à continuer à travailler bien après les catastrophes.

Le projet Openstreetmap se positionne-t-il comme un concurrent direct de Google maps ?

Nous ne sommes pas dans une logique concurrentielle mais complémentaire. Nous essayons d'entretenir un cercle vertueux en construisant une base de données ouverte à tous. A charge pour les industriels ou n’importe quelle personne inventive de créer des services, dans le respect des valeurs de la licence que nous utilisons. Ce cadre donne le droit à n’importe qui, y compris une entreprise comme Google, de copier, remixer et même revendre les données produites par la communauté OSM. Il existe une liberté totale, y compris en matière d’usages commerciaux. Mais bien sûr il y a des conditions.

Quels sont les termes de l’échange ?

Il faut respecter la licence ODbL, citer la source des données bien sûr, et surtout partager à l’identique. Dans le cadre de cette licence, lorsque vous mélangez vos données à celles d'OpenStreetMap, vous devez ensuite publier l’ensemble des données sous la même licence ou une licence compatible, ce qui enrichit la communauté en retour.

Des parlementaires européens ont lancé des initiatives pour « démanteler » Google. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas convaincu par cette idée. Il ne faut pas se mentir, si Google est aussi puissant, c'est parce que ses services sont simples, faciles, rapides et pas cher. Le seul moyen de créer une concurrence, c’est de s’adapter. Les gens sont prêts à payer un service, pour peu qu'ils aient la liberté et la qualité. Favorisons plutôt les entreprises en les encourageant à faire aussi simple, beau et rapide, et surtout à utiliser du logiciel libre en finançant les communautés qui y travaillent.

Justement, quel rôle jouent les communautés du logiciel libre dans le processus ?

Il est central. Ces communautés sont à l'origine de l'essor d'Internet dont l'esprit originel est la décentralisation. Elles révolutionnent aujourd'hui encore la manière dont on crée de nouveaux services et produits, l'Internet des objets par exemple. Sans le noyau GNU/Linux, il n’y aurait pas de smartphones ni de navigateurs. Les entreprises américaines l’ont bien compris. Si elles sont si puissantes aujourd’hui, c’est que la plupart ont su exploiter la puissance de ces communautés, sans vouloir réinventer la roue. Apple et Google sont parmi les premiers contributeurs au logiciel libre. Ils ont des centaines de logiciels libres en production et injectent dans ce secteur des milliers de dollars tous les ans.

Et en France ?

Il y a des réticences, par exemple chez les constructeurs de voitures, qui ont du mal à utiliser le logiciel libre, compatible avec les standards du Web, décentralisé et ouvert. Ils verrouillent les véhicules du point de vue informatique. Résultat, les petites entreprises qui veulent créer des services innovant dans les voitures, un nouvel autoradio ou des outils de navigation routière exploités avec du logiciel libre ou des données OpenStreetMap, ne peuvent pas le faire. De leur côté, Google et Apple sont en train de créer leur plateforme automobile avec du logiciel libre. Concrètement, quand l'usager voudra utiliser son smartphone ou sa tablette dans sa voiture, il n'y aura pas de rupture d'utilisation entre le mode piéton et le mode voiture. Quel que soit le navigateur utilisé, le site s'affichera de la même manière.

N'est il pas trop tard pour créer des concurrents d'égale puissance ?

Non, aussi gros sont-ils, les acteurs du numérique restent fragiles. Les parts de marché peuvent s'effriter très vite, pour peu qu'un acteur plus rapide et inventif prenne le relais. Qui se souvient aujourd’hui d'Altavista ou de Caramail, que l’on croyait invincibles ?

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