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Série

La grippe espagnole résiste aux virologues

En quelques mois, la grippe de 1918 a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale. Pourquoi un bilan si lourd ? Les virologues s'interrogent encore...

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Par Paul Molga

Publié le 30 juil. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

On tient sans doute l'origine de la grippe espagnole qui s'est répandue sur la planète à la fin de la Première Guerre mondiale.

Selon les travaux du professeur de biologie à l'université d'Arizona, Michael Worobey, publiés l'an passé, cette pandémie macabre - l'une des pires qu'ait connues l'humanité tout au long de son histoire - serait née de la combinaison d'une souche H1 de grippe humaine, provenant de la forme saisonnière qui circulait entre 1900 et 1917, avec des gènes aviaires de type N1. « C'est sans doute le lointain ancêtre de la variante H1N1 qui a fait trembler le monde en 2009 », pense le scientifique. Le virus aurait probablement été transmis à l'homme par des canards sauvages en Chine, sans doute à Canton, dès 1915, et transporté aux Etats-Unis par des immigrants. Là, il aurait muté pour devenir d'une extrême virulence -10.000 fois plus agressive que la souche de la récente grippe A. Il aurait alors fait ses premières victimes dans deux bases militaires du Kansas, au printemps 1918, avant de se propager à une vitesse fulgurante. En octobre, la grippe avait déjà fait 200.000 morts dans le pays. En traversant l'Atlantique avec les troupes américaines, elle s'installa dans les tranchées du front de la Somme puis gagna toute l'Europe à la faveur du rapatriement des blessés et de la démobilisation. Une seconde vague, partie du port de Brest, engorgea les hôpitaux civils et décima le corps médical. Après de nouvelles mutations express, le virus devint un tueur de masse, infectant le matin des personnes qui passaient de vie à trépas le soir même. En quelques mois, 40 % de la population mondiale furet touchés.

Combien de vies ont-elles réellement été emportées ? La fourchette communément admise va de 20 à 50 millions, soit plus que les 18,6 millions de victimes de la Première Guerre mondiale. (A titre de comparaison, on estime que la peste noire du XIVe siècle a fait 25 millions de morts, mais la Terre était alors nettement moins peuplée. 25 millions de morts est aussi le chiffre retenu pour la pandémie du sida entre 1981 et 2006.)

On est à peu près certains des chiffres pour les Etats-Unis et l'Europe : plus du quart de la population américaine aurait été infectée par le virus et 675.000 personnes en seraient mortes. En France, le nombre de victimes serait compris entre 120.000 et 240.000 selon les estimations. Le flou est plus grand en ce qui concerne l'Afrique et le sous-continent indien, pour lequel les évaluations vont de 1 à 20 millions de morts. Selon certains experts, le total des victimes pourrait même être le double des estimations les plus hautes - soit quelque 100 millions de morts !

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Les chercheurs ne s'expliquent pas cette virulence. Le contexte historique y était sans doute pour beaucoup : au sortir de la guerre, les populations étaient épuisées, l'hygiène défaillante, la promiscuité à son comble et les antibiotiques inexistants pour traiter les infections secondaires. Mais ces éléments n'expliquent pas tout. « La progression fulgurante de la maladie laisse penser que ce virus est réellement unique au regard de tous ceux qu'a rencontrés l'homme », pense le virologue Didier Raoult. Qu'avait-il de si spécial ?

Pour le découvrir, les scientifiques se sont attelés à retrouver l'agent infectieux disparu en fouillant les fosses communes d'un village inuit où la grippe avait emporté 85 % de la population. Les premières expéditions échouèrent, jusqu'à ce que, en 1997, le virologue Jeffery K. Taubenberger, de l'Institut national américain de recherche sur les allergies et les maladies infectieuses, parvienne à isoler l'ARN viral tant convoité dans le poumon d'un cadavre gelé. Les séquences du génome du virus furent reconstruites et, en 1999 et 2000, celles de l'hémagglutinine et de la neuraminidase étaient publiées. Il s'agit de deux protéines de surface qui permettent au virus, pour la première, de pénétrer dans les cellules; pour la seconde, d'y disséminer des particules virales. Mais elles n'expliquent pas le mystère de la virulence.

Les virologues sont pourtant persuadés de la responsabilité de ces protéines. « Sans doute agissent-elles sur un mécanisme de réaction en chaîne », suggère Michael Worobey. Une équipe américano-japonaise a confirmé son intuition en fabricant un virus de grippe humaine contenant les gènes du virus de la grippe espagnole. Au-delà de la virulence observée, l'équipe a confirmé qu'il déclenchait la même surréaction immunitaire qu'avaient constatée les médecins en 1918 chez de robustes jeunes patients. Pendant la pandémie, l'âge moyen des personnes décédées était de l'ordre de la trentaine d'années, contre 55 à 60 ans lors des épisodes de grippe saisonniers. L'hémagglutinine a-t-elle pu favoriser des infections secondaires ? On suspecte depuis longtemps les virus grippaux d'interagir étroitement avec certaines bactéries respiratoires. Reste à le prouver.

Paul Molga

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