Russie : où va le rouble ?

par Inna Mufteeva, économiste chez Natixis

Après un mois de décembre tumultueux, marqué par une chute libre de la devise russe et la réaction brutale de la banque centrale, le rouble s’est fortement apprécié depuis fin janvier 2015 : de l’ordre de 25% contre USD et de 12% en termes réels contre les devises des principaux partenaires commerciaux. En effet, les marchés financiers ont retrouvé l’appétit pour les actifs russes, l’indice boursier a gagné 27% depuis le début de l’année.

Plusieurs groupes de facteurs auraient contribué à cette embellie sur le rouble en impactant la demande et l’offre de la devise sur le marché des changes. Le rouble étant en flottement libre depuis novembre 2014, son cours vis-à-vis des autres devises est désormais pleinement déterminé par les forces du marché sans interventions régulières de la banque centrale. Les facteurs purement techniques (comme les périodes de paiements importants de la dette extérieure ou des impôts) ont été accompagnés par le changement des anticipations en matière d’économie et de géopolitique.

Parmi les facteurs techniques qui ont récemment augmenté l’attractivité du rouble contre le dollar américain on peut mentionner :

  • La hausse importante du taux directeur et la mise en place des facilités de financement en dollars pour les banques locales ce qui a ouvert des possibilités d’arbitrage. Les banques se financent en dollars auprès de la banque centrale avec des conditions très favorables, échangent ces montants contre les roubles, qu’elles placent par la suite sur les actifs locaux plus performants.
  • La stabilisation des prix du pétrole sur un niveau supérieur à 50$/bbl (et plutôt proche de 60$), le seuil psychologique pour les marchés et le niveau récemment utilisé pour les prévisions macroéconomiques du gouvernement;
  • La baisse des montants de la dette extérieure à rembourser dans les mois à venir par rapport à la fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015. Ainsi, les entreprises n’ont plus besoin d’accumuler les dollars par anticipation de ces remboursements. Par ailleurs, les exportateurs vendent plus régulièrement les dollars, notamment, en raison des échéances de paiements des impôts en roubles.

A ces facteurs il faut également rajouter l’amélioration récente de la balance courante et quelques surprises relativement positives (par rapport aux attentes) en termes des nouvelles macroéconomiques.

Par ailleurs, la stabilisation de la situation géopolitique ou au moins l’absence de mauvaises nouvelles a aussi apporté un changement de perception des marchés. Ce mouvement semble néanmoins être relativement temporaire, l’activité économique restant toujours dégradée et le conflit en Ukraine n’ayant pas encore une résolution définitive.

En effet, l’environnement économique n’est guère plus porteur avec la poursuite de l’effondrement de la croissance (nous anticipons une baisse du PIB de 3,5% en 2015) et une inflation toujours élevée. Cette dernière est passée de 16,7% à 16,9% en mars 2015. Toutefois, en variation mensuelle la hausse des prix à la consommation s’avère moins prononcée que les mois précédents (+1,2% en mars contre 2,2% en février et 3,9% en janvier). L’inflation est désormais tirée à la hausse par les prix des produits non-alimentaires qui réagissent avec un retard à la dépréciation de la devise.

L’inflation devrait atteindre son sommet dans les mois qui viennent pour commencer à reculer en deuxième partie d’année ce qui permettra à la banque centrale de continuer le cycle baissier du taux directeur, d’autant plus que, selon la gouverneur Elvira Nabiullina, la CBR n’est pas prête à combattre l’inflation « à tout prix ».

D’un côté, en l’absence de risques financiers majeurs (tels qu’une rechute des cours du pétrole et/ou une forte hausse des taux courts américains) ou d’escalade des tensions politiques, les pressions baissières sur la devise russe devraient rester limitées permettant ainsi la stabilisation du rouble dans les mois à venir. De l’autre côté, la dissipation des effets de carry trades avec le durcissement des conditions de financement en devises par la banque centrale, les perspectives de croissance toujours détériorées, le maintien des prix du pétrole bas et la poursuite des sorties des capitaux (110Md$ en 2015, selon les anticipations de la banque centrale contre 150Md$ en 2014) ne permettront pas un renforcement très marqué de la monnaie russe.

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