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Santé

Jusqu'ici impénétrables, les voies d'accès au cerveau s'entrouvrent

Les chercheurs tentent de franchir la barrière hémato-encéphalique, un réseau serré de vaisseaux sanguins qui protège le cerveau. Objectif : introduire des substances thérapeutiques.
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artères cérébrales
Les artères cérébrales (vues par artériographie) ainsi qu'un vaste réseau de microvaisseaux sanguins constituent la barrière hémato-encéphalique.
©BSIP / AFP

NUMÉRIQUE. Cet article est extrait du magazine Sciences et Avenir n°819, en vente en mai 2015. Le magazine est également disponible à l'achat en version numérique via l'encadré ci-dessous.

À bord du sous-marin miniature "Proteus", une équipe de scientifiques — eux-mêmes miniaturisés — est propulsée dans la circulation sanguine d’un homme. Sa mission : détruire un caillot obturant le cerveau. Telle était l’histoire incroyable du film Le Voyage fantastique, en 1966. Près de cinquante ans plus tard, la science flirte avec la fiction. Des chercheurs de l’université de Montréal, de Polytechnique Montréal et du CHU Sainte-Justine (Canada) ont en effet réussi à envoyer des nanoparticules magnétiques dans la circulation sanguine d’une souris jusqu’à son cerveau. Ils sont parvenus à "franchir" une défense réputée imprenable : la barrière hémato-encéphalique (BHE). 

Pour ce faire, ils ont induit une élévation de température de ces nanoparticules par application d’un champ de radiofréquences qui a augmenté la perméabilité de la barrière. Une prouesse qui pourrait se révéler cruciale pour les traitements futurs du cerveau. "Nous avons en effet démontré dans des expérimentations précédentes que ces nanoparticules peuvent véhiculer des agents thérapeutiques, assure Sylvain Martel, coauteur de l’étude. Ce nouveau résultat laisse donc espérer que l’on pourrait directement délivrer les médicaments sur un site spécifique du cerveau, améliorant significativement l’efficacité des thérapies." Car, la plupart des molécules candidats-médicaments ne franchissent pas cette frontière en quantité suffisante pour exercer une action efficace dans le cerveau. 

L'ultime frontière à conquérir 

Véritable cerbère, la BHE est devenue l’ultime frontière à conquérir pour les chercheurs, en particulier ceux du Laboratoire de la barrière hémato-encéphalique de l’université d’Artois à Lens (Pas-de-Calais), les seuls en France à se consacrer exclusivement à ce tissu hors normes. Dans un bâtiment en briques rouges de la faculté des sciences Jean-Perrin, une équipe de biologistes l’observe sous tous les angles depuis près de vingt ans. Elle a même réussi l’exploit d’en créer un modèle in vitro. Fabien Gosselet, son directeur, projette sur un écran l’image d’un enchevêtrement dense de fibres dans un crâne.

"La BHE c’est ce réseau de microvaisseaux sanguins qui parcourt tout le cerveau, soit au total environ 650 km pour une surface d’échange de 12 à 20 m2 !", explique-t-il. Sa fonction ? Protéger mais aussi nourrir et nettoyer les cellules du cerveau (voir l’infographie ci-contre). Sa première mise en évidence remonte au XVIIe siècle, lorsqu’un sinistre biologiste britannique, Humphrey Ridley, injecta de la cire dans la circulation sanguine de condamnés à mort et remarqua qu’elle n’imprégnait pas le cerveau. Quelque chose faisait donc barrage au liquide au niveau de la tête. Les travaux de Paul Erlich en 1885, poursuivis par son étudiant Edwin Goldman en 1909, visèrent à injecter un colorant bleu dans le sang d’une souris qui s’est révélé teinter tout son corps sauf le cerveau. Mais ce n’est qu'en 1998 que le premier moulage de ce réseau extraordinaire fut réalisé par Berislav V. Zlokovic, de l’université de Californie du Sud à Los Angeles (États-Unis). Aujourd’hui, plus de 35 700 publications scientifi ques ont été consacrées à cette structure particulière dont on connaît un peu mieux le fonctionnement. Les chercheurs savent ainsi désormais que les cellules endothéliales qui la constituent se comportent différemment de celles des vaisseaux sanguins "classiques", développant plusieurs systèmes de transport complexes. "Beaucoup d’équipes travaillent à concevoir des molécules qui trompent sa vigilance", poursuit Fabien Gosselet. Que ce soit en leur donnant un caractère lipophile — la barrière acceptant plus volontiers les molécules qui ont une affinité avec les lipides —, ou en leurrant les transporteurs. 

Vigile intraitable, la BHE protège contre les agents pathogènes, les toxines… Elle est aussi une superéboueuse, débarrassant les neurones de leurs déchets. Car les neurones produisent, entre autres, des peptides amyloïdes dits peptide A bêta qui, s’ils s’accumulent, s’agrègent et forment des plaques amyloïdes vraisemblablement à l’origine de la maladie d’Alzheimer. Or, avec l’âge, la BHE perd de son efficacité et une précédente étude de Berislav Zlokovic a montré qu’elle fonctionnait mal chez les malades d’Alzheimer (lire S. et A. n° 790, décembre 2012). Son dysfonctionnement pourrait être à l’origine de l’accumulation du peptide et donc de la maladie. "Il existe au niveau des cellules de la BHE un transporteur appelé “pompe d’efflux” qui prend en charge ce peptide A bêta pour l’éliminer vers l’extérieur, reprend Fabien Gosselet. Nous étudions comment restaurer sa fonction chez les malades." Dernièrement, une équipe de l’université du Queensland (Australie) a trouvé une autre voie. Elle a montré, chez des souris atteintes de l’équivalent d’Alzheimer, qu’un traitement aux ultrasons pouvait ouvrir momentanément la barrière pour permettre de nettoyer les plaques amyloïdes délétères et de rétablir les capacités de mémoire perdues du rongeur.

"Les ultrasons perturbent l’organisation lipidique des membranes et donc augmentent leur perméabilité, confirme Fabien Gosselet. Cette technique permet de faire rentrer des molécules (médicaments, anticorps…) vers le cerveau." Mais est-il pertinent de "casser" ainsi la BHE pour faire entrer ce qu’on veut vers les neurones? "J’étais très sceptique au départ mais au fur et à mesure des études publiées, je me rends à l’évidence : cette méthode semble très efficace et inoffensive, poursuit le spécialiste. Une étude réalisée sur les primates démontre que plusieurs séances d’ultrasons n’altèrent pas les fonctions cognitives ni le comportement sur plusieurs semaines. Étonnant." 

Identifier les acteurs du franchissement

Ouvrir la BHE est un challenge, mais empêcher de la traverser aussi. Certaines cellules cancéreuses trouvent, en effet, le sésame pour entrer. "Les cellules métastatiques du cancer du sein peuvent acquérir pendant des années des caractéristiques favorables au passage, explique Caroline Mysiorek, chercheuse à l’université d’Artois. Elles adhèrent à la paroi puis finissent par la franchir." Certains font l’hypothèse que les cellules cancéreuses parviennent à ouvrir les jonctions serrées qui scellent deux cellules endothéliales. Ou qu’elles déjouent les pompes d’efflux qui les contrôlent. Toujours est-il qu’une fois franchie la BHE, les cellules malignes se retrouvent protégées, hors de portée des traitements. Pour comprendre, la chercheuse entend à présent suivre la migration de ces cellules à travers la BHE in vitro (lire l’encadré ci-dessus). "Nous devons identifier les acteurs du franchissement pour pouvoir les bloquer un jour". Et ouvrir, peut-être, tout un champ de nouvelles thérapies.

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