En Allemagne, un parc d’attractions pour vieux : nostalgique ou réac ?

En Allemagne, un parc d’attractions pour vieux : nostalgique ou réac ?

« I love le Deutsche Mark » : un Allemand vient d’inaugurer un parc d’attractions destiné aux seniors et qui glorifie les années 60, 70 et 80. Un projet périlleux dans un pays pourtant bien adapté à sa population âgée.

Par isabelle_foucrier
· Publié le · Mis à jour le
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Le faux temple bouddhiste de Senioren Freizeitpark
Le faux temple bouddhiste de Senioren Freizeitpark - Senioren Freizeitpark

(De Berlin) « Groland » en rêvait, Richard Rode l’a fait. A 72 ans, cet entrepreneur et collectionneur allemand vient d’ouvrir le premier par d’attractions pour seniors d’Europe, le Senioren Freizeitpark.

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Cela se passe à Borken, à 100 km au nord de Francfort, dans une ancienne centrale thermique au lignite. Non sans une certaine fierté, l’homme confie  :

« Cela fait dix ans que j’y travaille. De l’idée première au site internet, j’ai tout fait tout seul, selon ma propre vision des choses. »
Un rveil au Muse du sport
Un réveil au Musée du sport - Senioren Freizeitpark

Et cela se voit, constate une presse allemande restée pour le moins sceptique devant le résultat.

Sur 10 000 m2, l’espace propose un voyage dans le temps confus et ponctué de distractions... disons, assez relatives.

Tout commence par le Musée historique allemand du sport. Sous cette enseigne pompeuse se dressent quelques vitrines, où des médailles et articles de journaux côtoient trophées, statuettes et autres bibelots kitsch.

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«  I love le Deutsche Mark  » et Elvis Presley

Sans transition, on atterrit dans un café rouge et or, où – le rêve – l’on peut déguster à l’année des pâtisseries de Noël. Après avoir photographié un Santa Klaus grandeur nature, on fait une pause méritée au Kaiser-Bar. Là, sur une musique de salon émanant d’un piano à queue, on se recueille devant l’autel érigé à la mémoire de Frédéric III de Prusse et de son fils Guillaume II.

Un colis Care
Un colis Care - Senioren Freizeitpark

Rien de tel pour enchaîner sur le coin dédié aux deux guerres mondiales et au IIIe Reich. On retrouve quelques objets-phares de ces années de misère, comme le colis Care, que l’organisation américaine avait abondamment distribué dans l’Allemagne ratiboisée de 1945. Ensuite  ?

Ensuite, on survole les années 60, 70 et 80 en se remémorant, images à l’appui, l’assassinat de Kennedy et les plus grands mariages princiers des cours européennes.

Une du journal Bild sur l'assassinat de Kennedy
Une du journal Bild sur l’assassinat de Kennedy - Senioren Freizeitpark

Et puis, une faille spatio-temporelle. Richard Rode adore la Chine. Une raison sans doute suffisante pour doter son parc d’attractions d’une «  Grande exposition chinoise  ».

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Après une réplique du trône en or de la Cité interdite et un faux temple bouddhiste, on tombe sur le trésor du collectionneur  : 300 copies en petit format des soldats en terre cuite du premier empereur de Chine.

Les fans peuvent acheter des miniatures à la boutique du parc. On les trouve à côté des T-shirts «  I love le Deutsche Mark  ». Rode aime tellement l’ancienne devise allemande qu’il a fait ériger dans la cour un monument-souvenir  : une pièce de monnaie géante coincée entre deux turbines.

Au total, ce parcours fait 2 km et est jonché de nombreuses possibilités de s’asseoir. Mais que les plus en forme se réjouissent  : ils peuvent aussi aller danser à Graceland sur les prestations d’un vague sosie d’Elvis.

Copies des soldats en terre cuite du premier empereur de Chine
Copies des soldats en terre cuite du premier empereur de Chine - Senioren Freizeitpark

« J’ai fait de la nostalgie une branche économique »

L’initiateur du projet est à des années-lumière de penser qu’il a mis au point le parfait contre-exemple de l’offre senior, fondé, qui plus est, sur une démarche ambiguë.

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En effet, qui a créé le premier parc d’attractions pour seniors d’Europe  ? L’entrepreneur croyant connaître sa cible ou le collectionneur ne sachant pas quoi faire d’un régiment en terre-cuite  ? «  Les deux », rétorque le septuagénaire enjoué qui, de façon générale, aime bien rappeler son tempérament de pionnier.

«  L’idée du parc, c’est moi qui l’ai eue, et je me battrai pour la défendre malgré les critiques. En 1974, c’est moi qui ai importé de France le métier de brocanteur. A l’époque, j’étais tout seul. Aujourd’hui, en Allemagne, les vide-greniers font vivre des milliers de professionnels. J’ai fait de la nostalgie une branche économique. »

La nostalgie, ciment de sa propre vie psychique et professionnelle, a donc présidé à l’élaboration de son parc d’attractions.

Le Senioren Freizeitpark
Le Senioren Freizeitpark - Senioren Freizeitpark

En Allemagne, les vieux sont rois

Serge Guérin, sociologue spécialiste de la question du vieillissement et auteur de «  La Nouvelle Société des seniors  » (2011, éd. Michalon) commence par relever :

«  Dans nos sociétés occidentales, le “C’était mieux avant” est réel, très prégnant. Mais en Allemagne, où le rapport à l’Histoire est plus dur et plus complexe, axer tout un projet sur la nostalgie est en soi assez périlleux.  »

En revanche, peut-être qu’un tel lieu n’aurait pas été possible ailleurs qu’outre-Rhin. L’Europe du Nord accepte mieux l’âge que l’Europe du Sud, où l’on ne supporte pas d’être renvoyé à sa vieillesse [PDF].

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L’Allemagne, elle, a ses magasins spécialisés (comme le site de vente par correspondance Deliga) et adapte volontiers ses enseignes aux besoins des personnes âgées (revêtements antidérapants sur les sols, charriots déambulateurs, signalisation claire, etc.).

Il est vrai que dans un pays où les plus de 65 ans représenteront 29% de la population en 2030, les infrastructures semblent volontiers s’adapter aux besoins de cette classe d’âge.

Hormis un contexte légèrement facilitant, le concept marketing du «  parc d’attractions pour seniors  » ne tient pas debout, lâche Serge Guérin :

«  L’âge n’est jamais une entrée qui fonctionne. On peut imaginer des services ou des produits adaptés à un segment de population, mais la finesse consiste à ne pas le lui dire clairement. »

Un public « ringard et réactionnaire » ?

En outre, il y a une vraie méconnaissance des envies de ce public, remarque Claire Patry, gériatre à l’hôpital Bichat à Paris :

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« Les seniors n’aiment pas être pas être parqués, justement. Ils recherchent le mélange des générations, bien plus dynamisant. »
Le Senioren Freizeitpark
Le Senioren Freizeitpark - Senioren Freizeitpark

Richard Rode n’a pas interdit l’entrée de «  son paradis du souvenir  » aux moins de 55 ans. Au contraire, il rêve que les visiteurs y emmènent leurs petits-enfants. Mais là, encore, rétorque Serge Guérin :

« D’un point de vue intergénérationnel, c’est le récit de vie qui a de la valeur. C’est raconter comment c’était avant à échelle intime. Ce parc ne peut attirer qu’un public ringard et réactionnaire. »

Lorsqu’ils sont sur place, ces amoureux du temps d’avant ne peuvent pas encore, malheureusement, parler du temps qu’il fait.

Le directeur s’est d’abord concentré sur l’aménagement « indoor » de son parc, les mettant ainsi à l’abri des caprices de la météo. Mais les espaces extérieurs ne resteront pas longtemps inexploités, annonce-t-il gaiement  :

« Parmi les belles nouveautés à venir, un grand terrain de pétanque et une nouvelle attraction, adaptée à l’âge : la bicyclette bancale ! »

Seniors, accrochez-vous, Richard Rode n’a pas fini de vous surprendre.

Un Deutsche Mark gant au Senioren Freizeitpark
Un Deutsche Mark géant au Senioren Freizeitpark - Senioren Freizeitpark
isabelle_foucrier
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