L'allocation universelle n'est pas l'avenir de la sécurité sociale

L'allocation universelle n'est pas l'avenir de la sécurité sociale

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Par François Perl

Le débat sur l’allocation universelle revient de manière récurrente à mesure que la question de l’avenir de l’État-providence se pose. Ces dernières semaines, ce débat a été alimenté par l’émergence de propositions visant à concrétiser cette idée.

La première expérience serait menée à l’échelle locale, à Utrecht au Pays-Bas. La municipalité, en collaboration avec l’Université d’Utrecht, souhaiterait expérimenter l’idée d’un revenu minimal garanti sur un groupe de personnes sans emploi. L’évolution de ce groupe serait comparée avec celle d’un autre groupe percevant des allocations classiques.

Remplacement des allocations

L’idée sous-jacente serait de démontrer que les personnes qui perçoivent ce revenu sans condition ont un comportement plus actif sur le marché de l’emploi que celles qui seraient passivement enfermées dans les systèmes traditionnels de sécurité sociale.

La seconde proposition semble nettement plus ambitieuse. La nouvelle coalition conservatrice au pouvoir en Finlande souhaiterait remplacer l’ensemble des allocations sociales par un revenu inconditionnel de 1000 EUR par mois.

Dans sa mouture actuelle, l’expérience serait menée à l’échelle d’une des plus grandes régions du pays et semble exclure l’assurance maladie, ce qui relève de la plus élémentaire logique quand on connaît le coût réel des soins de santé. Le revenu garanti remplacerait cependant les trois principales allocations sociales : pension, chômage et invalidité.

Il n’en fallait pas plus pour relancer le débat en Belgique où la proposition est portée, depuis plusieurs années, par un assez large panel d’intellectuels ou de politiques allant du philosophe Philippe Van Parijs au président du CPAS de Namur, Philippe Defeyt.

Dans Le Soir du 29 juillet, le premier expose les aspects concrets de sa proposition et soumet l’idée d’octroyer à tous les adultes de plus de 18 ans un revenu mensuel inconditionnel de 500 EUR : "Selon nos simulations, il serait possible d’octroyer une allocation de l’ordre de 500 euros par adulte. Elle serait financée pour partie par la réduction de ce montant dans les transferts sociaux et la suppression de toutes les allocations inférieures à ce montant, mais aussi par la suppression de l’exonération fiscale sur les premières tranches de revenus et d’autres ajustements de l’impôt des personnes physiques" (Ph. Van Parijs in Le Soir, 29 juillet 2015).

Le coût en Belgique

Attardons-nous un instant sur ces chiffres et plus particulièrement sur le coût de la création d’une allocation universelle pour l’ensemble des adultes de plus de 18 ans. Au 1er janvier 2015, ce groupe de la population se chiffrait à 8 931 886 unités. En prenant au pied de la lettre la proposition de Philippe Van Parijs, l’instauration d’une allocation universelle dans notre pays coûterait 54 milliards d’euros sur une base annuelle. Le dépenses de sécurité sociale pour les travailleurs salariés et salariés (hors soins de santé) s’élèvent en 2015 à 44 milliards d’euros.

Le premier constat à faire est que la proposition de Philippe Van Parijs est impossible à concrétiser en tenant compte de ses propres paramètres de financement :

1°/ La suppression de toutes les allocations inférieures à 500 euros ne génère aucun gain financier significatif. En considérant la sécurité sociale stricto sensu (donc en excluant le revenu d’intégration et les allocations pour personnes handicapées), la plupart des allocations sociales sont supérieures à ce montant.

2°/ La suppression de l’exonération fiscale sur les premières tranches de revenus ne permettrait certainement pas de financer intégralement le coût de la proposition Van Parijs.

Reste dès lors l’hypothèse de réduction du montant nécessaire au total des transferts sociaux, qui constitue la seule piste de financement réaliste d’une allocation universelle en Belgique.

Effet de substitution

Ceci nous amène au cœur du débat. Contrairement à ce que ses promoteurs affirment, l’instauration d’un revenu minimum garanti en Belgique se substituerait donc, au moins pour une grande partie au système actuel de sécurité sociale.

Pour financer la proposition Van Parijs, il faudrait faudrait probablement supprimer les allocations de chômage et d’invalidité ainsi que les pensions. Sauf à considérer qu’on trouverait un financement alternatif crédible à cette proposition via d’autres recettes.

Mais nous pouvons écarter d’emblée cette hypothèse dans le débat politique actuel en Belgique. Même la proposition de taxe sur les millionnaires du PTB, qui est loin de faire consensus, ne permettrait pas de financer une allocation universelle.

L’allocation universelle, en supprimant toute condition de revenus ou de situation sociale, élargit l’assiette des bénéficiaires, et, dès lors, substitue à ce principe de solidarité

Ce constat n’est pas très étonnant. Les systèmes de sécurité sociale, qu’ils soient financés par les cotisations sociales ou par l’impôt, sont basés sur le principe d’une redistribution solidaire des moyens financiers aux citoyens via une répartition tenant compte de leur situation sociale et de leurs revenus. Seuls les systèmes de soins de santé dérogent, pour partie, à cette règle.

L’allocation universelle, en supprimant toute condition de revenus ou de situation sociale, élargit l’assiette des bénéficiaires, et, dès lors, substitue à ce principe de solidarité, un principe de répartition égalitaire qui a pour effet d’écrêter la redistribution des richesses et donc, par définition, de rompre le principe de solidarité.

Objectifs différents

Plus fondamentalement, les systèmes de sécurité sociale et l’allocation universelle poursuivent des objectifs différents. L’État-providence a pour mission originelle de garantir une sécurité d’existence aux citoyens ayant perdu tout ou partie de leur capacité à obtenir un revenu du travail et de leur offrir un système de soins de santé accessible.

Elle fonctionne sur le principe d’une assurance sociale qui agit de manière différenciée tout au long de la vie en fonction des besoins sociaux. Pour l’essentiel des actifs, elle produit ses bénéfices principaux dans les 15 à 20 dernières années de la vie.

L’allocation universelle poursuit des objectifs presque antinomiques. Elle ne vise pas à remplacer les revenus du travail mais bien à les compléter par une forme de "bonus" offrant aux citoyens une plus grande liberté par rapport à leurs orientations professionnelles et à leur choix de vie.

Dans le contexte d’une crise économique qui fragilise de plus en plus le modèle salarial, au mieux en le précarisant, au pire en le détruisant, la question d’un modèle alternatif de revenu garanti mérite d’être analysée

ll n’est pas question ici de critiquer ontologiquement l’allocation universelle. Dans le contexte d’une crise économique qui fragilise de plus en plus le modèle salarial, au mieux en le précarisant, au pire en le détruisant, la question d’un modèle alternatif de revenu garanti mérite d’être analysée. Le problème c’est que ce débat, et la proposition Van Parijs le rappelle, se fait essentiellement , sous l’angle d’une concurrence, au moins partielle, avec le avec financement du système de sécurité sociale.

Les deux projets d’expérimentation qui se mettent en place aux Pays-Bas et en Finlande vont d’ailleurs dans ce sens.

Ce n’est guère étonnant dans la mesure où les origines idéologiques de l’allocation universelle proviennent essentiellement du courant libertarien qui la définit comme une forme d’impôt négatif, une "ristourne" sur les contributions payées par les citoyens à l’État et certainement pas comme une assurance sociale publique, en totale contradiction avec l’objectif de réduction voire d’abolition du rôle l’Etat qui est l’ADN de cette école de pensée.

Sécurité sociale et allocation universelle relèvent de deux approches politiques complètement différentes et doivent se développer de manière tout à fait indépendante, au risque de s’annihiler mutuellement.

Moins-value pour les bénéficiaires

Le second constat concerne l’efficience de l’allocation universelle qui serait supposée être supérieure à la sécurité sociale "classique" et moins coûteuse. De ce point de vue, la question est assez rapidement tranchée.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que remplacer des allocations par une allocation unique et forfaitaire de 500 euros, ne permet certainement pas de remplir les mêmes objectifs et est totalement inacceptable d’un point de vue social

D’une part, une allocation universelle de 500 euros par mois coûterait 10 milliards de plus à la collectivité que les prestations actuelles. D’autre part, si l’on considère son coût budgétaire, elle s’avère être une moins-value pour les bénéficiaires actuels d’allocations sociales.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que remplacer des allocations qui sont comprises, selon les statuts, entre, grosso modo, 500 et 1700 euros, par une allocation unique et forfaitaire de 500 euros, ne permet certainement pas de remplir les mêmes objectifs et est totalement inacceptable d’un point de vue social. L’effet d’aubaine est par contre total pour les travailleurs salariés et indépendants.

A la marge, cette allocation universelle s’avère efficace pour la catégorie de travailleurs percevant les salaires les plus bas mais il existe bien d’autre manière pour parvenir à améliorer leur sort.

Il est évident que notre système de protection sociale est perfectible. Même s’il continue à avoir une valeur exemplaire, la faiblesse du niveau de certaines allocations et l’absence d’individualisation des droits sont autant de facteurs qui en réduisent l’efficacité.

Dès lors que l’on considère ces deux questions comme quasi impossibles à solutionner dans la trajectoire budgétaire actuelle, le débat sur l’allocation universelle est bien loin des préoccupations quotidiennes des acteurs de la sécurité sociale.

Cela ne veut évidemment pas dire qu’il doit être évacué sans autre forme de procès. Mais il serait sans doute plus cohérent de considérer une fois par toute qu’une allocation universelle ne pourrait exister que dans un cadre conceptuel et financier totalement indépendant de celui de la sécurité sociale.

François Perl

François Perl est fonctionnaire, Directeur Général du Service des indemnités de l'Inami. Licencié en sciences politiques, il a milité au Cercle du Libre Examen de l’ULB et a occupé diverses fonctions dans des cabinets ministériels ainsi qu’un mandat de conseiller communal à Saint-Josse. Il s’exprime, ici, à titre tout à fait personnel.

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