Menu
Libération
Au rapport

Urgences hospitalières : «Le grand malentendu persiste»

Dans un rapport remis à la ministre de la Santé, le Dr Jean-Yves Grall s'inquiète du flux non-régulé des 18 millions de personnes qui se présentent chaque année aux urgences des hôpitaux.
par Eric Favereau
publié le 1er septembre 2015 à 16h45

Marisol Touraine adore les rapports. Elle en commande beaucoup, les rend publics bizarrement sans beaucoup de publicité, et après… on attend le suivant. Ces jours-ci, entre celui portant sur la réforme des études médicales et avant celui sur la politique vaccinale, s'est glissé un rapport «sur la territorialisation des urgences» du Dr Jean-Yves Grall, directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) du Nord-Pas-de-Calais.

Un travail qui aurait pu passer inaperçu si le Figaro n'avait eu l'idée de sortir, dans son édition de lundi, une liste de 60 services d'urgences (sur 700) menacés de fermeture en raison d'une faible activité. Dans le rapport en question, il n'y a, de fait, aucune liste. Et au ministère de la Santé, on dément catégoriquement toute velléité de fermeture d'un quelconque service. Fermez le ban… Cette polémique ainsi mise de côté, il reste un travail – certes englué dans un jargon administratif – mais qui a le mérite de mettre à plat le système actuel des urgences. Aujourd'hui, cela déborde de tous côtés. Et pour Jean-Yves Grall, «le grand malentendu persiste».

Reprenons. En 1993, le rapport du professeur Steg sur le sujet avait fait date : il y avait alors, si l'on peut dire, seulement 7 millions de passages aux urgences par an, c'est-à-dire qu'un Français sur huit s'y rendait. Et on assistait déjà à un accroissement d'année en année du recours à ces services. «Un flux des urgences jugé excessif et insuffisamment régulé, avec un premier niveau d'accueil défaillant», notait alors le professeur Steg qui dénonçait «une sous-médicalisation». Aujourd'hui, soit vingt-deux ans plus tard, «malgré des mesures importantes, entre autres sur la professionnalisation de ces services, le grand déséquilibre s'accentue». Avec toujours ce constat : «Une affluence croissante dans les services d'urgence.» Ce sont, en effet, plus de 18 millions de passages dans les services d'urgences en 2013, soit 1 Français sur 3,5. Et donc toujours un même déséquilibre, «avec une proportion d'urgences graves qui reste identique, voire diminue» : moins d'une sur dix. Bref, neuf urgences sur dix pourraient être prises en charge ailleurs.

«Effritement» de la participation des médecins de ville

Plus délicat : on assiste à «une permanence des soins ambulatoire en médecine de ville qui s'affaisse». Le Conseil de l'ordre des médecins note même «l'effritement de la participation des médecins libéraux à la permanence des soins». Très logiquement, on assiste à «des tensions hospitalières récurrentes et régulières» qui obligent le ministère à des jongleries pour y faire face, en décrétant des plans bleus, blancs, etc. Le rapport pointe également «quelques caractéristiques fortes sur ces passages dans les services d'urgence» : ainsi, ils se déroulent essentiellement durant la journée – «75% des passages ont lieu entre 8 heures et 20 heures, contre 25% entre 20 heures et 8 heures, et 10% entre 0 heure et 8 heures.» Enfin, au niveau sociologique, «les urgences hospitalières sont davantage le recours des catégories socioprofessionnelles les plus modestes, alors que les dispositifs de ville sont plus sollicités par les catégories les plus aisées».

En d’autres termes, l’équation ne bouge pas : d’un côté, les Français plébiscitent les urgences hospitalières, s’y rendant en masse et, de l’autre côté, les nouveaux dispositifs d’organisation (avec la médecine de ville et les maisons de santé) ne répondent pas à cette demande. Pire, les médecins de ville s’en désintéressent, alors qu’il s’agit d’une obligation déontologique. Et au final, tout le système boite.

Diviser en «territoires»

Que faire donc ? Un énième rapport ? Le Dr Grall, qui connaît par cœur la petite musique en vogue au ministère de la Santé, recommande «la territorialisation». C'est le slogan, le nouveau maître mot que l'on retrouve, aujourd'hui, dans tous les rapports : construire des territoires et à l'intérieur de chacun d'entre eux, installer une organisation centralisée. Jean-Yves Grall, non sans bon sens, imagine, dans «chaque territoire», trois types de structures représentant quatre niveaux de prise en charge.

En haut, le top, avec des services territoriaux d'urgences de pointe, «correspondant à la prise en charge des urgences communes, qui disposeraient d'un plateau technique adéquat et de spécialistes. Ces services correspondent assez bien avec les services actuels à forte activité». Ensuite, des antennes de service d'urgence, dont l'ouverture serait permanente. «Celles-ci doivent s'inscrire dans une relation formalisée avec les services d'urgence territoriaux et n'ont pas vocation à prendre en charge toutes les urgences, en fonction de leur plateau technique et de leur ressource médicale spécialisée. La télé-imagerie doit être développée et constituer l'épine dorsale du lien fonctionnel avec les services d'urgences territoriaux». Enfin, des centres de soins non-programmés (CNSP) ou centres de soins immédiats. «Ces unités labellisées par l'ARS figureraient dans le répertoire opérationnel des ressources et s'inscriraient dans le réseau territorial d'accès aux soins non programmés». Pourquoi pas ? Et il y aurait «un pilotage opérationnel du réseau qui reposerait sur la régulation médicale entre le centre 15 et le numéro unique généraliste libéral à venir».

Reste donc la suite. Ce rapport sera-t-il suivi d'effet ? Comme à son habitude, la ministre l'a reçu, et a félicité son auteur pour son «remarquable travail».

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique