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Encadrement des loyers : comment ça marche ?

La mesure phare de la loi Duflot sur le logement entre en application à Paris ce week-end. Qui concerne-t-elle et quelles sont ses chances d'être efficaces ?
par Frantz Durupt
publié le 31 juillet 2015 à 15h32

Ce samedi entre en application l'encadrement des loyers à Paris, mesure phare adoptée dans le cadre de la loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) il y a plus d'un an maintenant. De cette mesure, on dit parfois que c'est la «seule réforme de gauche» du quinquennat Hollande – «On me le dit beaucoup», admet auprès de Libération Cécile Duflot, l'ancienne ministre du Logement qui a porté la loi. Fort bien, mais comment fonctionne-t-elle ? Ne risque-t-elle pas de faire flop ? On a tenté d'être exhaustifs.

Comment ça fonctionne ?

Si vous êtes à la recherche d'un logement à Paris, c'est assez simple : à compter de ce samedi 1er août, vous pouvez vérifier sur une carte interactive si le loyer proposé par l'agence ou le propriétaire se trouve dans une fourchette, fixée selon le quartier concerné (il y en a 80 à Paris), mais aussi en fonction du nombre de pièces, de l'ancienneté de l'immeuble et de son caractère meublé ou non. Le loyer minimum est fixé à 30% de moins que le loyer de référence, le maximum à 20% de plus – le loyer de référence étant le loyer médian, celui au-dessus duquel se trouvent autant de loyers qu'en dessous. On parle ici, bien sûr, du parc privé.

Exemple : dans le quartier Saint-Fargeau du XIXarrondissement, un des moins chers de la capitale, le loyer d'un deux-pièces meublé dans de l'ancien ne doit ainsi pas excéder 27 euros par mètre carré. Ce qui fait 891 euros par mois pour un 33 m2, tout de même (pour presque deux fois moins, on trouve bien plus grand à Lille).

Si vous êtes déjà en location, sont concernés «les contrats qui arrivent à échéance à partir [du 1er août] et que le bailleur souhaite expressément renouveler», indique l'association Consommation logement cadre de vie (CLCV) sur son site. Autrement dit, vous pouvez faire valoir l'encadrement des loyers à votre bailleur six mois avant la signature d'un nouveau bail. En revanche, si votre bail est renouvelé tacitement, «l'application de l'encadrement des loyers est pour le moment sujette à discussions. Des précisions devront être apportées sur ce point, soit par la jurisprudence, soit par le législateur», écrit la CLCV.

Beaucoup de logements sont-ils concernés ?

Concrètement, d'après nos observations empiriques, loin d'être exhaustives, de nombreux loyers proposés par les agences immobilières et les particuliers semblent déjà dans les règles. La mesure devrait concerner, selon une projection de l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (Olap), près de 20% des nouveaux baux signés à partir de samedi – ce qui n'est pas mal, en fin de compte. Parmi ces 20%, un tiers des loyers fondrait de moins de 50 euros, un autre tiers de 50 à 100 euros, et le dernier tiers de plus de 100 euros.

Du côté des agences immobilières, même si la Fédération nationale de l'immobilier est vent debout contre la réforme (on y revient plus bas), son président, Jean-François Buet, affirme que l'organisation veillera à ce que ses offres soient conformes au droit : «On n'est pas dans une guérilla», dit-il, ajoutant qu'il en va de la «crédibilité du réseau auprès des propriétaires qui font appel à lui».

C'est pour les offres proposées entre particuliers que la situation risque d'être plus compliquée. Reprenons notre quartier Saint-Fargeau et ses 891 euros pour un deux-pièces de 33 m2. A deux jours de l'entrée en application de la mesure (c'est le moment où la capture d'écran a été faite), on trouve, par exemple sur pap.fr, une offre demandant 1 025 euros pour cette surface, soit 134 euros de plus que le loyer de référence majoré. Une situation qui ne devrait toutefois pas perdurer, selon le site de petites annonces, qui indique à Libération avoir «beaucoup informé sur l'encadrement des loyers» auprès de ses annonceurs, avec des tutoriels, des mails, et une formation de ses agents téléphoniques. Mais en dernier ressort, rien ne pourra techniquement empêcher quelqu'un d'excéder le loyer de référence majoré.

Que faire en cas de loyer excessif ?

Sur le papier, c’est assez simple. Si vous cherchez un appartement et que son loyer est trop élevé, vous pouvez le souligner auprès du propriétaire… qui est parfaitement en mesure, alors, de vous envoyer bouler en prétextant que plein d’autres gens sont prêts à payer plus que vous. Si vous tenez vraiment à cet appartement, vous pouvez donc signer le bail puis dénoncer le loyer – ce qui vous place directement dans une situation de conflit avec le proprio, mais bon.

Si malgré cela vous n'obtenez pas la réduction attendue, il faut saisir, dans les trois mois qui suivent la signature du bail, la Commission départementale de conciliation (CDC). Problème : son avis n'a pas de valeur contraignante. Si le propriétaire refuse toujours de baisser votre loyer, il faut donc saisir le tribunal d'instance dans les trois mois qui suivent la décision de la CDC. La décision de justice issue de cette saisine est rétroactive : si le tribunal vous donne raison, le propriétaire doit vous rembourser tous les trop-perçus depuis le début du bail.

Vu comme ça, on ne voit pas très bien pourquoi un propriétaire pris en flagrant délit de loyer excessif s'entêterait à refuser de se conformer à la règle. «On compte sur la dimension vertueuse de tout le monde», explique Cécile Duflot, qui affirme qu'il ne s'agit pas, avec ce dispositif, de «mettre les propriétaires en cause».

Bon, et ça va marcher ?

C'est difficile à dire dans l'immédiat, car pas mal d'éléments demeurent flous. La première des questions, c'est de savoir si les locataires vont avoir le courage et la persévérance d'entamer et de poursuivre des démarches. «Il va y avoir un impact positif sur les micrologements inférieurs à 30 m2», ceux qui font clairement l'objet du plus d'arnaques, avance ainsi Jean-Baptiste Eyraud, représentant de l'association Droit au logement (DAL), mais le problème, c'est que beaucoup des personnes qui ont besoin de ces logements sont jeunes et/ou précaires. Pas sûr qu'ils aient ne serait-ce que l'argent nécessaire pour engager des frais d'avocat dans une procédure judiciaire (la saisine de la CDC est gratuite, en revanche). «Faire valoir ses droits, c'est toujours un sujet», admet Cécile Duflot, qui souligne tout de même qu'«on trouve facilement l'information».

En plus des sites déjà cités, les nouveaux baux (dont une version type est disponible sur Legifrance) doivent en effet, à partir de samedi, faire mention du loyer de référence du quartier. Depuis 2012, ils doivent également indiquer le loyer versé par le locataire précédent, puisque les loyers sont gelés à Paris (le décret fixant ce gel est republié cet été). Le bail doit aussi être accompagné d'une notice d'information. Pour autant, Jean-Baptiste Eyraud estime qu'il serait bon que les associations d'aide au logement s'allient aux organisations étudiantes pour communiquer dans les universités.

Restent, tout de même, un certain nombre de variables aux conséquences inconnues. C'est notamment le cas du «complément de loyer» que pourront appliquer les propriétaires pour justifier un prix supérieur au loyer de référence majoré. Concrètement, une caractéristique «exceptionnelle» pourra justifier ce complément de loyer (qui n'est pas plafonné), mais ces dernières n'ont pas été clairement fixées par la loi. Tout au plus sait-on que ce qui est compris dans les charges (par exemple l'ascenseur) n'en fera pas partie. Mais quid d'une vue sur la Tour Eiffel ? A priori, il faut que l'appartement concerné soit le seul de son immeuble à proposer ce petit détail qui fait la différence. Dans tous les cas, «c'est la jurisprudence qui va être appliquée», avance Cécile Duflot, pas très inquiète. Contrairement à Jean-Baptiste Eyraud, qui craint qu'«avec cette majoration, il [ne soit] pas impossible que l'encadrement débouche finalement sur une hausse des prix dans certains cas».

C’est trop flou, donc ?

On n'en jugera pas ici, mais c'est en tout cas l'argument que va mettre en avant la Fnaim dans le recours devant le Conseil d'Etat qu'elle compte déposer d'ici le 12 août, indique Jean-François Buet. «Le texte est très mal rédigé», estime-t-il, pensant avoir une chance que la juridiction casse la mesure pour cette raison. Il avance notamment que l'utilisation du critère du nombre de pièces crée des disparités pour des appartements de même taille mais au nombre de pièces différent dans un même immeuble.

Pour Cécile Duflot, avec ce recours (qui vient compléter une offensive médiatique pour dénoncer «une erreur historique»), «la Fnaim ne se grandit pas». «Tout le monde convient que le montant des loyers à Paris est trop élevé», rappelle-t-elle.

Mais, à la limite, ce n'est pas ce qui énerve le plus l'ex-ministre. Pour elle, le plus grave réside dans la très forte limitation imposée par Manuel Valls, le Premier ministre, à sa réforme : alors que la loi «telle qu'elle a été votée très majoritairement par le Parlement» prévoyait d'étendre cet encadrement à 28 communes, Manuel Valls a annoncé en septembre dernier qu'il sera finalement cantonné à Paris, à titre expérimental. Ce qui peut aussi poser des problèmes vis-à-vis de la première couronne parisienne, où les loyers sont susceptibles de devenir plus élevés qu'intra-muros, souligne l'Humanité ce vendredi.

A lire aussi : Immobilier : Valls déloge la loi Duflot

Ces derniers jours, Cécile Duflot a donc soutenu la tribune des têtes de liste EE-LV aux élections régionales, qui demandent une application complète de la loi. «Ce n'est pas un caprice de Cécile Duflot», fait valoir l'ancienne ministre, soulignant au passage que sa loi, elle, «n'a pas été adoptée au 49.3», en référence à la loi Macron.

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